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l’Humanité
Sandrine Rousseau : « La société a un train d’avance sur un monde politique dépassé »
#liberalisme #alternatives
Article mis en ligne le 9 octobre 2024

Avec son nouvel essai, Sandrine Rousseau a pour ambition de déconstruire le « mythe » des Trente Glorieuses pour tracer une voie vers un « nouveau modèle social », débarrassé du libéralisme. Elle appelle la gauche à plus de débats de fond.

Mi-septembre, Sandrine Rousseau publiait Ce qui nous porte. Comment nous pouvons éviter la catastrophe (le Seuil), un essai qui invite la gauche à construire un imaginaire libéré de l’héritage des Trente Glorieuses. Seul moyen pour la députée écologiste de relever la gauche et concurrencer le récit des libéraux et de l’extrême droite. (...)

Barnier à Matignon, des ministres macronistes, un gouvernement sous surveillance du RN… Au regard de cette situation, pensez-vous que le Nouveau Front populaire (NFP) pouvait faire mieux ?

Sans doute, mais le NFP n’est en rien responsable de la situation, qui est du seul fait d’Emmanuel Macron. Il n’a pas voulu lâcher le libéralisme, quitte à faire une alliance avec l’extrême droite plutôt que de nous voir gouverner. Il n’a aucun scrupule à participer au désistement républicain, puis d’être l’allié tacite du RN. La Ve République ne permet pas de protéger les Français contre un président qui refuse de perdre. (...)

L’écologie a été à l’arrière-plan. C’est un monde où les gens restaient à la place qu’on leur avait assignée. Les femmes, avant les années 1970, sont restées cantonnées à la sphère domestique et les travailleurs immigrés vivaient dans des taudis ou étaient renvoyés. C’est un univers que convoque aujourd’hui la droite, avec les trad wives, ou une vision utilitariste de l’immigration. Les Trente Glorieuses ne l’ont pas été sur tous les sujets, ni pour tout le monde. (...)

Le programme du NFP est une relance keynésienne par la consommation. Comme dans les années 1960. Il nous faut proposer un nouveau modèle social. Par exemple, sur le travail : nous voulons bosser mieux.

Cinquante pour cent des salariés envisagent une reconversion ; il y a 500 000 burn-out par an ; 43 % des gens expriment une souffrance sévère ou aiguë au travail : on ne peut pas continuer ainsi. Les rapports entre humains, aux animaux, à la terre, à la religion évoluent, sans prendre l’aspect de grands mouvements sociaux, mais le changement de valeur est réel. (...)

La société française n’est ni réactionnaire ni nostalgique : elle a un train d’avance sur un monde politique dépassé. La différence entre ce que pense la société – même le Medef veut de l’immigration – et ce qui est dit dans les médias est telle que ça va finir par craquer. Nous sommes face à une minorité radicalisée qui monopolise le débat public. (...)

Je propose de s’interroger sur le gratuit (que sort-on de la sphère marchande ?), sur le temps (qu’est-ce que le temps de qualité ?), sur la fierté, sur la cohésion sociale… C’est le récit d’une société apaisée où il est possible de s’émanciper autrement que par la consommation. Cette tectonique des plaques est en cours et crée des frictions. (...)

Pour incarner un récit solide et durable, la gauche doit affronter ses différences dans des débats ouverts.

Par exemple, sur la question du productivisme ou de la gratuité, tout le monde n’aura pas la même réponse, mais si on échange, on progresse ensemble. Sinon, nous ne ferons que l’addition de nos voix sans créer l’élan nécessaire. Et nous ne gagnerons pas. (...)

Le programme du NFP est frappé de ce que j’appelle le syndrome des chaudières : on fait des devis. Certes, il faut de meilleures chaudières, mais cela ne convoque pas un imaginaire. (...)

Mais, n’est-ce pas en améliorant matériellement les conditions d’existence des gens qu’on change la vie ?

Oui, mais ce n’est pas seulement donner un peu plus d’argent. C’est offrir une véritable dignité de vie en s’interrogeant, par exemple, sur ce qui doit être sorti du marché : l’alimentation, l’eau, l’énergie. Ce débat nous tirerait vers le haut. (...)

On entend souvent que « l’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage ». Mais le jardinage, avec les jardins ouvriers et créoles, était une lutte des classes. C’est un sujet matériel car c’est donner les conditions d’émancipation du marché, tout en convoquant l’imaginaire de l’autonomie. Tout est lié.

Votre livre, très documenté, est aussi l’occasion de mêler votre vie politique et votre passé d’économiste. Comment tout cela s’est-il imbriqué ?

C’est comme si la Sandrine Rousseau politique avait effacé la Sandrine Rousseau chercheuse. Cela fait partie du sexisme car c’est refuser de voir que j’ai un combat intellectuel. Je voulais réconcilier ces aspects de ma carrière. Ce n’est pas un livre sur ma vie, mon œuvre, mais un raisonnement politique, social et économique, basé sur des données sur lesquelles s’appuyer pour bâtir une alternative. (...)

Je veux créer un espace politique de la gauche. Nous sommes trop enfermés, soit dans le commentaire de ce qui se passe à droite et à l’extrême droite, soit dans nos divisions et les procès d’intention. Cette camisole politique nous empêche de développer une véritable alternative. Réfléchissons à ouvrir le champ : il nous fait dicter le tempo, s’imposer comme la norme et créer de l’enthousiasme. (...)

On oublie souvent que Jean-Luc Mélenchon a amené des personnes qui ne votaient pas à la citoyenneté. Et François Ruffin a raison de vouloir aller chercher ceux qui sont tentés par le RN. Mais tous deux se trompent : leurs stratégies ne sont pas exclusives. Il faut déconstruire le racisme et ne pas faire que des propositions sur le travail. (...)

Chaque année, 160 milliards d’euros sont versés aux entreprises. Le capitalisme vit sous perfusion. Nous sommes au bout d’un système. Le social-libéralisme bon teint ne permettra pas d’y répondre, pas plus qu’à la crise écologique.

La gauche a-t-elle pris la mesure du défi écologique ?

Pas du tout. Est encore présente l’idée que nous pourrons nous adapter. Mais on ne s’adapte pas quand l’eau monte d’un mètre. L’urgence est de mettre tous nos moyens dans la protection et l’évitement. Le programme du NFP n’est pas assez écologique. Il faut diminuer les cadences. (...)

Nous sommes face à un choix : pensons-nous que la technologie nous sauvera, ou qu’il faut ralentir ? Revenons à des savoir-faire humains, aujourd’hui largement dévalorisés. On entend souvent que l’écologie, c’est la réindustrialisation. Je suis en désaccord. La transition, c’est l’artisanat, ceux qui réparent.

Proposez-vous la décroissance ?

Plutôt une a-croissance. La décroissance, c’est le modèle inversé de la croissance. Je propose une troisième voie : l’effacement de la croissance. On ne fait plus l’addition des valeurs ajoutées car un objet réparé a moins d’impact sur la croissance qu’un appareil qu’on jette et qu’on rachète. (...)

Depuis plusieurs semaines, se tient le procès des violeurs de Mazan. Est-il, selon vous, un signe de la démocratisation de #MeToo, de la prise de conscience que le patriarcat concerne Monsieur Tout-le-Monde ?

C’est la banalisation du viol et la démocratisation de la lutte contre le viol. Il faut comprendre que Mazan est une très petite ville. Ce n’est pas Paris, mais Dominique Pelicot a trouvé près de 100 hommes prêts à violer une femme inconsciente. Cela dit quelque chose de la banalité absolue et du quotidien du patriarcat, de la domination et de la prédation. (...)

Mazan nous oblige à questionner le patriarcat là où l’extrême droite veut nous envoyer, avec Philippine, sur le questionnement de l’immigration. (...)