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Club de Mediapart/ Robert Duguet Militant anticapitaliste et retraité de l’Education Nationale
Serbie : un processus révolutionnaire dans les Balkans ?
#Serbie #corruption #mobilisations #etudiants #Balkans
Article mis en ligne le 15 juillet 2025
dernière modification le 10 juillet 2025

Suite aux politiques de privatisation du gouvernement d’Aleksandar Vučić, un mouvement de la jeunesse universitaire s’auto-organise et entraine les forces du travail et les syndicats. Un travail commun se fait pour le droit du travail et les libertés syndicales. Contre le régime corrompu de Vučić les étudiants exigent des élections parlementaires.

Le matin du 1ᵉʳ novembre 2024, le toit de la gare de Novi Sad s’effondre, provoquant la mort de 16 citoyens. Le gouvernement serbe venait d’annoncer sa cession à une société ayant des intérêts chinois et justifiée par les médias aux ordres de Vučić pour sa modernisation (...)

À l’origine du drame de Novi Sad, c’est une fois de plus une question de bien commun qu’un gouvernement abandonne au privé. Le contexte de la guerre du régime fasciste de Poutine face à ce peuple ukrainien qui résiste, les crimes de guerre, les vols d’enfants, la radicalisation obstinée d’annexion sur le plan militaire, tout cela entraine la déstabilisation des Balkans. Dans d’autres circonstances historiques, il est probable qu’il y aurait eu des protestations populaires, mais certainement pas ce déferlement après le drame du toit s’effondrant. Le gouvernement a démissionné fin janvier, mais pas le président Vučić qui garde en main l’appareil répressif de l’État.

Le mouvement des étudiants qui bloquent l’université depuis maintenant presque 8 mois va appeler à l’auto-organisation dans des assemblées populaires qui décident de ce qu’il convient de faire et qui contrôlent démocratiquement leur propre mouvement. (...)

Vučić est sonné par l’importance du mouvement et dit comprendre le message, tout en soulignant « l’énorme énergie négative, la colère et la rage envers les autorités ». L’unité permet de déjouer les manœuvres de l’exécutif. Ainsi le 19 mars à Belgrade, le camp des « étudiants qui veulent étudier » pro-régime a été évacué. Si la grande manifestation se déroule pacifiquement, un tir au canon à son devant le parlement provoque la panique dans la foule. Les organisateurs détournent le cortège et appellent à la dissolution, tandis qu’un groupe inconnu provoque en lançant des pierres, des bouteilles et des pétards.

En Macédoine du Nord, suite à l’incendie d’une discothèque avec un permis d’exploitation douteux, 59 jeunes périssent, une assemblée étudiante appelle à s’organiser conjointement avec leurs collègues serbes et à décider comment lutter contre le « système pourri et corrompu ». (2) La rébellion s’étend. L’Union étudiante indépendante de l’Université de Skopje et le site Internet « Student Plenum » servent de catalyseur au mouvement. Les étudiants de Macédoine déclarent le 23 mars « Nous pompons ensemble ! » et « Tout le monde au plénum ! » Pourquoi le plénum ? Ils répondent :

« Nous avons longtemps eu le sentiment que les mécanismes institutionnels, tels que les parlements et les assemblées étudiantes, ne représentaient pas nos intérêts. Ils sont devenus, dans une large mesure, des instruments au service des partis et ont perdu le contact avec les besoins réels des étudiants. »

En même temps les étudiants créent leur propre union syndicale indépendante (NSS-UKIM) comme une alternative à l’USS-UKIM qui compose avec l’administration universitaire et l’exécutif.

En Serbie, comme dans le combat de l’opposition démocratique russe contre la dictature, on retrouve la référence centrale à la Révolution française (...)

Les étudiants qui bloquent les facultés de l’université de Novi Sad ont annoncé l’itinéraire du tour cycliste « Bike to Strasbourg ». 50 étudiants cyclistes parcourront 1000 kilomètres pour soumettre à l’Union européenne un dossier sur les violations des droits de l’homme dans leur pays. C’est un appel au secours magnifique, mais sans vraie réponse.

La place des femmes : lors de la journée de la femme, le « collectif 8 mars tous les jours » avance la grève féministe, phénomène méconnu en Serbie. Les travailleuses posent la question du travail domestique non rémunéré, des soignantes, de l’assistance aux personnes âgées et à la jeunesse, activités salariées ou non, et qui sont en grande majorité exercées par des femmes. Cette propagande est menée par les femmes dans les entreprises en grève et dans les manifestations de rue, malgré la résistance de syndicats dirigés par des hommes. Le féminisme, qui est essentiellement celui de la femme salariée ou non, proclame qu’il est impossible de combattre le système néolibéral sans la lutte contre l’inégalité des sexes dans le travail et la vie privée.

Si la lutte étudiante repart après le 16 avril, le gouvernement répond par la répression, menace de mesures disciplinaires et multiplie les interrogatoires de police. Les administrations universitaires introduisent des cours en ligne sans fondement légal et qui menacent la validité des diplômes. La police pénètre en nombre dans les établissements scolaires mais, sans se laisser intimider, les étudiants pacifiquement se mobilisent. L’information sur l’incursion policière se transmet efficacement sur les réseaux sociaux et les contraint à partir.

Le 24 avril, les étudiants kurdes de l’université de Rojava expriment leur soutien à ceux de Serbie : « Nous croyons fermement que votre lutte réussira et que vous atteindrez vos objectifs. » (...)

Après des mois de manifestations, d’occupations de locaux scolaires et d’assemblées populaires, les masses font leur expérience politique. Dans une apparente confusion idéologique, des orientations cherchent à s’imposer. D’un côté le repli ethno-nationaliste qui nous ramène dans la dépendance de l’empire poutinien, de l’autre l’opposition libérale qui veut faire entrer la révolte étudiante dans la politique institutionnelle. Les libéraux proposent dans la période de transition un gouvernement provisoire « d’experts », imposant à l’auto-organisation démocratique son pouvoir de décision.

Vieille recette qui a été tentée dans d’autres pays pour endiguer le mouvement des masses. En En Serbie, c’est un 1ᵉʳ mai massif qui se fera. Habituellement les syndicats défilaient dans des endroits différents, là ce fut la convergence d’un front entre les syndicats unis et les colonnes organisées d’étudiants vers le centre de Belgrade devant le siège du gouvernement. C’est conjointement que les délégués étudiants et les syndicats mettent en place un groupe de travail avec des avocats pour un code du travail assurant le respect des libertés syndicales.particulier, cela rappelle curieusement la situation espagnole et le mouvement des Indignés du 15 mai 2011, poussée révolutionnaire de la classe ouvrière et de la jeunesse paupérisée contre les mesures néolibérales appliquées par les majorités de droite comme de gauche en Espagne. Le contrôle que va exercer le mouvement Podemos, devenu parti en 2013, sur les Assemblées populaires et les groupes locaux va imposer les fameux « experts », et limiter l’auto-organisation démocratique des Assemblées, les réduire à un rôle consultatif. (...)

Une telle manifestation a eu des effets immédiats : le président Aleksandar Vučić et son collègue Robert Fico de Slovaquie sont soudainement tombés malades et ont ajourné leur voyage à Moscou pour participer à la grande parade impériale de Poutine du 9 mai que ce dernier avait préparée durant des mois. Et le 12 juin, Vučić visite l’Ukraine pour la première fois depuis le début de la guerre. La Serbie ne reconnaît pas la tentative russe d’annexer des territoires ukrainiens, mais s’est abstenue de critiquer la Russie ou de lui imposer des sanctions, malgré son statut de pays candidat à l’UE.

Le 6 mai, les étudiants qui bloquent tous les établissements d’enseignement supérieur ont annoncé sur leurs réseaux sociaux qu’ils exigeaient la dissolution immédiate de l’Assemblée nationale et la convocation d’élections parlementaires anticipées. L’article 109 de la Constitution prévoit « son autodissolution dans des cas exceptionnels ». Ils ajoutent : « Avec la forte conviction que nos revendications sont justes, nous constatons que les racines de la corruption du pouvoir ont pénétré trop profondément dans les institutions de l’État, les empêchant ainsi de fonctionner de manière indépendante. » (...)

En Serbie aujourd’hui, pour le mouvement uni des étudiants et des travailleurs, les privatisations postsoviétiques et l’entrée dans le monde du néolibéralisme n’ont pas apporté la prospérité mais la destruction des emplois et des services, l’absence d’horizon professionnel avec en sus un régime autoritaire et la guerre de Poutine qui dévaste son propre pays, au-delà des coups terribles qu’il porte au peuple ukrainien. Par ailleurs l’épisode des vélos a indiqué que la réponse de l’Europe était faible, comme elle l’est aussi vis-à-vis du développement des partis d’extrême droite dans les « grandes » démocraties occidentales. Les gauches occidentales, de par leur soumission au néolibéralisme, ont ouvert un espace électoral tel à la démagogie d’extrême droite que celle-ci peut accéder au pouvoir. L’Europe devient brune. Se positionnant comme forces anti-système, l’extrême droite ne le fait que dans le but de protéger le capital privé national. Le populisme en Espagne de Podemos, celui de Mélenchon et de France Insoumise en France, celui de Sahra Wagenknecht et de son mouvement BSW en Allemagne qui dérive vers le rouge-brun, se situent sur ce terrain même de protection du capital national avec des positions antimigrants. Le pillage du secteur public et les privatisations continuent à s’accélérer sous des exécutifs aux mains de l’extrême droite. La présidence américaine de Trump va dans ce sens, comme celle de Macron en France ouvre une autoroute au Rassemblement national.

C’est dans ce contexte pour le moins difficile qu’a éclaté cette surprenante situation révolutionnaire serbe. Le mouvement d’auto-organisation de la jeunesse mérite ce qualificatif, cela ne veut pas dire qu’il aboutira à une transformation révolutionnaire dans le contexte mondial actuel. Jusqu’où pourra-t-il aller ? (...)