
Les lacs, zones humides ou forêts qui viennent de se former par le retrait des glaciers sont des écosystèmes vertueux. Ils sont pourtant déjà menacés par diverses convoitises.
On savait déjà que les glaciers étaient en partie condamnés à disparaître au cours du siècle, au fur et à mesure de leur fonte provoquée par le changement climatique. Mais la disparition irréversible de ces langues de glace laisse d’autres enjeux écologiques derrière elle : les nouveaux écosystèmes qui les remplacent sont d’ores et déjà menacés, alors que leur préservation est fondamentale.
C’est ce qui ressort d’une étude publiée le 16 août dans la revue Nature. (...)
D’après les auteurs, dans le pire scénario impliquant de très fortes émissions de gaz à effet de serre et un réchauffement global de plus de 4 °C, plus de la moitié de la surface de ces glaciers disparaîtrait, soit environ 339 000 km² de nouveaux espaces désenglacés, l’équivalent de la superficie de la Finlande. Dans le scénario optimiste où nous contiendrions le réchauffement à 1,5 °C, les glaciers libéreraient tout de même 150 000 km² d’espaces, l’équivalent de la superficie du Népal. (...)
Lacs, forêts et lagons émergents
Que vont devenir toutes ces surfaces libérées des glaces ? C’est ce que cherche à élucider le projet Ice & Life au sein duquel s’insèrent ces travaux scientifiques. Coordonné par Jean-Baptiste Bosson, ce projet réunit des écologues d’Asters et du WWF France, avec le partenariat d’autres institutions scientifiques françaises et suisses.
« Ces écosystèmes émergents sont largement inconnus. C’est un gros impensé de la recherche scientifique. Ils sont notamment totalement absents des rapports du Giec [1] », souligne Jean-Baptiste Bosson. (...)
Des écosystèmes triplement vertueux
Les espèces qui ont rapidement colonisé ces nouveaux territoires en devenir leur ont dans le même temps conféré une grande valeur écologique. Les scientifiques estiment que cela pourrait avoir la vertu d’atténuer les effets négatifs de la disparition des glaciers, autour notamment de trois enjeux majeurs.
En premier lieu, sur l’urgence climatique. Car ces écosystèmes stockent du carbone. (...)
Une aide bienvenue, même si elle ne compense pas la dramatique disparition des glaciers. (...)
Deuxième rôle de ces écosystèmes en devenir : ralentir le cycle de l’eau. Là encore, le rôle majeur des glaciers ne pourra pas être compensé entièrement. (...)
Troisièmement, ces écosystèmes sont évidemment d’une grande valeur intrinsèque. La biodiversité qu’ils abritent est d’autant plus précieuse que celle-ci s’effondre un peu partout dans le monde. (...)
L’urgence de les protéger des convoitises
Si les chercheurs insistent tant sur l’importance de les préserver, c’est que ces écosystèmes, à peine éclos, sont déjà menacés. « Il y a plein de tentations avec cette nouvelle ressource en eau : pour faire de la neige artificielle, la turbiner pour l’hydroélectricité, la récupérer pour l’agriculture… C’est d’autant plus dangereux qu’il y a un effet d’aubaine, explique Jean-Christophe Poupet, responsable du programme Alpes au WWF France. La fonte des glaciers va augmenter temporairement le débit des cours d’eau, donnant l’illusion d’une abondance, mais qui n’est que temporaire. Cette eau est un héritage, il ne faut pas la dilapider. » (...)
« En Asie centrale, on exploite des mines en explosant des glaciers à la pelleteuse. Certains lacs au Pérou qui viennent de se former par le retrait des glaciers sont déjà contaminés par le cyanure et le mercure de mines illégales. Et les stations de ski françaises arasent les montagnes l’été pour optimiser les pistes, ce qui empêche la formation d’écosystème lorsque les glaciers disparaissent », illustre Jean-Baptiste Bosson.
En conséquence, les acteurs du projet Ice & Life militent pour une meilleure protection juridique de ces glaciers et des écosystèmes qui leur succèdent. (...)
Alors que l’ONU a fait de 2025 l’année internationale de préservation des glaciers, les scientifiques aimeraient que cette échéance soit l’occasion de porter cette double ambition : limiter le réchauffement climatique pour sauvegarder autant que possible les glaciers, et tout faire pour préserver les écosystèmes émergents postglaciaires. Histoire de ne pas répéter une seconde fois la tragédie de la dévastation de ces milieux.