
“EN LÉGER DIFFÉRÉ” – Dans “La meilleure cuisine régionale, c’est chez moi !”, les chefs Norbert Tarayre et Yoann Conte sillonnent nos terroirs et leurs restaurants pétris de “tradition”. Un périple aux saveurs passéistes et au fumet nationaliste.
« En 2025, présenter des sardines dans un pot de terre, c’est assez incroyable ! » Le chef Norbert Tarayre est en Bretagne avec son compère Yoann Conte pour la deuxième saison de La meilleure cuisine régionale, c’est chez moi !, compétition de M6 entre établissements « typiques ». « Toujours plus de plats traditionnels » élaborés à partir de « recettes traditionnelles » en suivant des « méthodes traditionnelles » dans des « restaurants traditionnels » situés en « terre de traditions » pour « perpétuer les traditions » au son de « chansons traditionnelles », le tout « ancré dans la plus pure tradition ». Peu de chances de croiser « mangeur de tofu » et autre « homme soja » que les viandards d’extrême droite fustigent sur les réseaux. À Port-Louis, dans le Morbihan, Norbert s’extasie devant un « bistrot marin ». « J’adore ! C’est beau, les guirlandes ! Ça fait taverne de matelots. » (...)
Dans le Finistère, à la pointe Saint-Mathieu, c’est devant la crêperie de Maxence et Pauline que Norbert s’extasie : « J’adore ! Regarde ça, c’est granit ! Ces tuiles, là, c’est quoi ? C’est de l’ardoise ? » À l’intérieur, il déchante face au décor moderne : « Ça fait pas très crêperie traditionnelle. Les crêperies bretonnes, elles sont avec de la vieille pierre, du vieux bois, ça sent l’iode, l’ancien. » Pour le consoler, « une galette de blé noir, emblème de la gastronomie bretonne ». « On l’a appelée la Breihziflette, annonce Pauline. — Brésil, Brésil !, clame Norbert. — Mais nan !, se récrie Yoann. Breihz, Bretagne ! Flette, la tartiflette ! » En effet, « Pauline a garni la galette de tomme de vache locale et d’une saucisse locale au goût très particulier, la saucisse de Molène ». (...)
« Quand les jeunes perpétuent les traditions et le font bien, c’est incroyable », salue Norbert (...)
Dans un village de l’Oise, « Jako a fait de son restaurant une adresse incontournable pour ses plats canaille ». Des « plats canaille » ? L’expression fétiche des créateurs des restaurants Gueuleton, soucieux de « défendre notre identité », proches d’influenceurs d’extrême droite émules du « gastronationalisme », selon la journaliste Nora Bouazzouni. (...)
À Lestrem, dans le Pas-de-Calais, le restaurant de Tommy occupe un bâtiment moderne. « On est loin de l’estaminet », s’inquiète Yoann. Mais une fanfare costumée les attend à l’intérieur. « Chez nous, c’est le carnaval de Dunkerque, on est des bons vivants, des fêtards », explique Tommy, pour qui « une cuisine régionale, c’est authentique, c’est ce qu’on mangera encore dans cent ans. Pas de chichi, du tradi ». (...)
Norbert se régale : « Là, t’es au XVIᵉ siècle. » On savait manger en ce temps-là. C’est la « valorisation d’une France moyenâgeuse, d’une virilité chevaleresque », pointe Sébastien Bourdon, auteur de Drapeau noir, jeunesses blanches. Enquête sur le renouveau de l’extrême droite radicale. Dans la carbonade, relève Yoann, « le pain de campagne à la moutarde, ça fait un plat encore plus paysan. Avec toute la noblesse du terme ». Il faudra le mettre à la carte des estaminets du Puy du Fou.