
Erigé en martyr sur les réseaux sociaux, Li Wenliang a fini par succomber au coronavirus. Le médecin chinois est l’un des premiers à avoir, fin décembre, tiré la sonnette d’alarme au sujet d’une "pneumonie d’origine méconnue". Il aura également été victime de la mainmise du régime communiste sur le Web chinois. Ses publications d’avertissement, diffusées sur la très populaire application WeChat, ont été censurées avant de servir de motif légitime à son arrestation par les autorités de Wuhan, épicentre de l’épidémie, le 3 janvier. La raison : elles auraient constitué de "fausses informations" à même de "perturber l’ordre social".
"Le lanceur de ’rumeur’ a été arrêté par la police, mais pendant ce temps-là le virus s’est répandu comme une bombe nucléaire dans tout le pays" persiflait tout récemment un internaute sur Weibo, l’équivalent chinois de Twitter, dans un message repéré par Le Figaro. L’ampleur de la menace n’a en effet été reconnue publiquement par Xi Jinping que le 20 janvier, laissant l’épidémie gagner du terrain.
Une censure renforcée
La censure du Web a joué des tours aux autorités dans la détection de l’épidémie. Elle n’en reste pas moins très vive. De jour comme de nuit, des milliers de petites mains traquent sur les réseaux sociaux autorisés dans le pays - WeChat, Weibo, Baidu, les équivalents chinois des bannis Facebook, Twitter et Google - les contenus jugés "inacceptables". Parmi eux, les contenus violents, les parodies de l’hymne national, moqueries à l’égard des responsables politiques, ou publications véhiculant une vision "malsaine" du mariage et de l’amour, dont les vidéos pornographiques.
En 2018, les autorités arguaient avoir fermé 26.000 sites Internet "illégaux" et effacé pas moins de 6 millions de commentaires. Dans le pays, l’anonymat est interdit en ligne depuis 2017, laissant aux autorités le loisir de remonter facilement à l’identité des auteurs de publications controversées. Les VPN, ces réseaux privés virtuels qui permettent de simuler une connexion depuis l’étranger et donc de contourner la censure chinoise, sont dans le viseur du Parti depuis 2017. Apple les a balayés de son magasin d’applications en octobre 2019.
Des histoires "touchantes"
L’épidémie de coronavirus vient renforcer une obsession de longue date du Parti communiste : un goût prononcé pour les contenus "positifs", seuls à pouvoir trouver pleinement leur place en ligne. Exit les contenus anxiogènes ou autres images de patients contaminés. "Il faut renforcer le contrôle sur les médias et l’internet" a déclaré le Xi Jinping le 4 février, lors d’une réunion au sommet de Parti communiste, avant d’indiquer donner la priorité aux "histoires touchantes", à même de "réchauffer les cœurs".
S’en est suivie une série d’articles de presse à la fibre patriotique et largement relayés sur les réseaux sociaux. (...)
Pour contourner cette "grande muraille de la censure", les ressorts des internautes chinois restent très limités. "La fenêtre de liberté d’expression est terminée ! Il ne faut plus partager d’information sur l’épidémie sur ce chat sinon on sera puni", pouvait-on ainsi lire dans une publication très consultée sur WeChat, avant d’être supprimée quelques heures plus tard. Dernier phénomène en date : des captures d’écran virtuellement griffonnées pour être rediffusées sur WeChat en trompant les outils automatisés de censure. Alors même que la reconnaissance faciale, déployée à grande échelle dans le pays, est quant à elle entravée par les masques de protection au virus.