
Chela Noori, présidente et fondatrice de l’association Afghanes de France, a pu voyager à travers le pays pour la première fois depuis le retour des talibans en 2021. Partie de Kaboul au moment de l’invasion soviétique dans les années 1980, elle raconte dans quel état elle a trouvé les femmes, mais aussi les plus jeunes.
Chela Noori : Je suis allée en Afghanistan avec mon passeport français. Je n’ai pas eu besoin de visa parce que mon pays de naissance sur le passeport, c’est l’Afghanistan.
Je n’avais pas encore tenté un voyage sous le régime taliban. Je ne savais pas si ça passerait ou pas. Finalement, c’est passé. Je n’ai pas eu de problèmes à l’aéroport. Ce que je voulais faire, c’est un état des lieux psychologique et humanitaire en sillonnant un petit peu le pays. J’ai visité quinze villes et grandes provinces, j’ai interrogé beaucoup de femmes, mais pas seulement. J’ai aussi parlé à des petites filles, des petits garçons, des hommes... Je voulais avoir le point de vue de tout le monde.
Avez-vous été confrontée à des restrictions particulières ?
Officiellement, la burqa est obligatoire, mais dans les faits, ce n’est pas toujours le cas. Moi, j’y suis allée avec un voile et la tunique noire longue et beaucoup d’Afghanes étaient habillées comme ça. En revanche, le masque Covid est obligatoire. J’ai questionné beaucoup de femmes. La plupart m’ont dit : tu as vu la chaleur ? C’est notre forme à nous de résistance. Il fait parfois plus de 40 degrés. J’étais aussi toujours accompagnée d’un "mahram" [un homme de la famille qui fait office de chaperon, NDLR].
Vous avez ressenti une forme de résistance chez les Afghanes ?
Pour moi, la résistance en Afghanistan, ce sont les femmes, c’est clair. Ici, en France, ce que l’on entend, c’est que les femmes afghanes ont interdiction de sortir de chez elles, sauf avec un mahram. On m’a dit : "Tu connais le caractère des Afghanes, ils ne pouvaient pas nous cloîtrer toutes à la maison". Donc certaines réussissent à sortir malgré tout même si elles n’ont pas de mahram. Les talibans tolèrent, on va dire. Mais les "ordres de Ben Marouf" [nom donné à la police des mœurs], pas du tout. (...)
Beaucoup de vidéos circulent sur les réseaux sociaux où on les voit tabasser des femmes en public parce qu’elles n’ont pas bien mis leur masque par exemple. Ils trouvent n’importe quel prétexte pour les réprimander. Il y a aussi des enlèvements. (...)
tous les endroits de loisir sont interdits aux femmes. Ça je l’ai testé partout, à Kaboul, à Kandahar... (...)
J’ai interrogé une quinzaine de jeunes filles et de femmes. Chez les petites filles, l’état psychologique va très mal, parce qu’elles se disent : à 13 ans, on sera interdit d’école, ce sera fini [depuis le retour des talibans, les filles n’ont plus le droit d’aller à l’école au-delà du niveau primaire, NDLR]. Elles se mettent à pleurer, car elles n’ont pas d’avenir du tout. On pense à les marier. Comme il n’y a plus d’avenir, c’est la seule possibilité pour elles. Celles qui étaient en études ou qui étaient en activité, elles sont toutes en dépression totale. Elles me disaient : regarde, on est toute la journée à la maison, on se lève, on fait à manger, le ménage. La seule chose qu’on peut faire, c’est sortir pour faire les courses ou aller chez les unes, chez les autres. Mais en dehors de ça, tu ne peux rien faire du tout du matin au soir. Et comme elles n’ont pas le droit de sortir, les enfants sont aussi tous à la maison. (...)
J’ai interrogé une quinzaine de jeunes filles et de femmes. Chez les petites filles, l’état psychologique va très mal, parce qu’elles se disent : à 13 ans, on sera interdit d’école, ce sera fini [depuis le retour des talibans, les filles n’ont plus le droit d’aller à l’école au-delà du niveau primaire, NDLR]. Elles se mettent à pleurer, car elles n’ont pas d’avenir du tout. On pense à les marier. Comme il n’y a plus d’avenir, c’est la seule possibilité pour elles. Celles qui étaient en études ou qui étaient en activité, elles sont toutes en dépression totale. Elles me disaient : regarde, on est toute la journée à la maison, on se lève, on fait à manger, le ménage. La seule chose qu’on peut faire, c’est sortir pour faire les courses ou aller chez les unes, chez les autres. Mais en dehors de ça, tu ne peux rien faire du tout du matin au soir. Et comme elles n’ont pas le droit de sortir, les enfants sont aussi tous à la maison. (...)
Tout ce dont elles rêvent désormais, c’est de partir. Mais c’est très compliqué déjà d’avoir un passeport. Depuis 2023, le Pakistan renvoie tous les Afghans et le visa qui coûtait 800 dollars auparavant peut monter jusqu’à 5 000 dollars maintenant. Tout est fait pour que les Afghans et Afghanes ne quittent pas le pays.
Avez-vous rencontré des femmes qui continuent de travailler ou d’étudier ?
Des femmes qui font des études, je n’en ai pas vu. Des femmes qui travaillent, oui, partout où l’on vous fouille, ce sont des femmes puisque ce sont les femmes qui fouillent les femmes. Là, ils sont obligés. À l’aéroport aussi, au guichet de l’immigration, c’étaient des femmes.
Et les enfants pâtissent aussi de cette situation bien sûr...
Oui, ce qui m’a le plus marquée, ce sont les enfants. Parce qu’on parle beaucoup des femmes, mais peu des plus jeunes. Il faut savoir qu’il n’y a quasiment pas d’emplois en Afghanistan. Donc tous les adultes sont au chômage. Je trouvais que toutes les rues étaient impeccables partout. En fait, ce sont les enfants qui nettoient. J’en ai interrogé quelques-uns qui m’ont expliqué que leurs parents ne travaillaient pas, donc qu’il fallait bien payer le loyer. Donc, ils sont là à travailler sous le soleil toute la journée, sans casquette, sans protection, pour, allez... 50 centimes par jour. (...)
La situation humanitaire est terrible. Il n’y a pas de travail, donc les gens vivent à crédit. Tout le monde s’endette pour payer le loyer, ce qui est interdit dans l’islam. Et c’est un cercle vicieux. Donc quand les enfants arrivent à travailler un petit peu, ils ramènent de l’argent pour payer le loyer.
Et les hommes que vous avez rencontrés, que disent-ils de tout ça ?
J’ai vu la colère dans les yeux d’un père qui était pauvre, mais qui disait : "Moi, mon rêve, c’était que mes filles ne galèrent pas – parce qu’il avait trois filles –, qu’elles fassent des études et qu’elles s’en sortent, qu’elles ne dépendent pas d’un mari. Mais au final, elles vont devenir aussi dépendantes que ma femme. Moi, j’espérais qu’elles deviennent médecins et fassent de grandes études." Et il s’est mis à pleurer.
Sont-ils résignés face à leur impuissance ou y a-t-il pour eux un espoir ?
Ils disent : si on perd espoir, on se suicide. Donc, on espère. On espère, mais sur du long terme. Quatre ans sans pouvoir étudier, c’est déjà une grosse perte sur le long terme. Le message qu’ils voulaient que je fasse passer ici, c’est qu’on mette la pression sur ce régime et laissez-nous travailler, laissez-nous étudier. (...)
c’est une génération de perdue. Il n’y aura plus de médecins. Pour l’instant, il y a quelques médecins qui continuent de travailler. Mais sur du long terme, il n’y aura plus de médecins femmes. Tout est fait pour qu’il n’y ait plus de médecins femmes.
Vous êtes allée à Kaboul, mais aussi dans le reste du pays, à Kandahar, Jalalabad, Herat. Avez-vous vu une différence entre la capitale et les provinces ?
Ce qui est incroyable, c’est que j’ai vu la même situation, le même climat, partout où je suis allée. Que ce soit dans les grandes villes, les grandes provinces ou les petits villages, c’était la même chose. Il y a une forme de sécurité qu’ils ont instaurée. Mais cette insécurité, elle existait à cause d’eux. En prenant le pouvoir, c’est sous forme de dictature qu’ils ont instauré cette forme de paix. (...)