
En n’excluant pas l’envoi de troupes sur le sol ukrainien, le président français a suscité la bronca des oppositions, tandis que plusieurs de ses alliés européens se sont désolidarisés. Au lieu de provoquer un débat sérieux, l’évocation désinvolte de cette hypothèse a exposé la division des soutiens de l’Ukraine.
« Rien« Rien ne doit être exclu. » Avec cette petite formule, Emmanuel Macron a suscité un torrent de réactions dans son pays et à l’échelle internationale. Lundi 26 février au soir, en marge d’un sommet européen organisé à Paris sur l’aide à l’Ukraine, le président français a suggéré que l’envoi de troupes occidentales, tout en faisant débat, était sur la table.
Laisser planer le doute, dans une optique de dissuasion, peut avoir du sens, estimait l’historien militaire Michel Goya dans le dernier numéro de notre émission « Retex ». Mais en évoquant un scénario sans contenu précis, et sans s’être réellement concerté avec ses partenaires européens ou sa propre majorité en interne, la sortie d’Emmanuel Macron s’est transformée en fiasco.
Sur le front diplomatique et stratégique, la crédibilité de la parole présidentielle a été entamée par de nombreuses réactions de chefs d’État et de gouvernement présents au sommet, qui ont pris leurs distances avec Emmanuel Macron. Sur le front de la politique intérieure, toutes les oppositions ont convergé dans la dénonciation de ses propos. Gêné, l’exécutif a annoncé ce mardi après-midi qu’une déclaration, suivie d’un débat et d’un vote, aurait lieu au Parlement à propos du soutien à l’Ukraine.
Retour sur ce qu’a dit précisément le chef de l’État, et les réactions en chaîne provoquées par sa parole. (...)
Un peu plus tôt, le premier ministre slovaque Robert Fico (opposé aux sanctions contre la Russie) avait déjà déclaré, sans donner de détails, que « plusieurs États membres de l’Otan et de l’UE envisag[eai]ent d’envoyer leurs soldats sur le territoire de l’Ukraine sur une base bilatérale ». « Est-ce que cela a été discuté aujourd’hui ? Qu’est-ce que vous en pensez et qu’en est-il ? », a demandé Bloomberg au président français.
Celui-ci a répondu en trois temps. Oui, le sujet a été évoqué. Non, « il n’y a pas de consensus aujourd’hui pour envoyer de manière officielle, assumer et endosser des troupes au sol ». Mais « en dynamique, rien ne doit être exclu », et « nous ferons tout ce qu’il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre », a conclu Emmanuel Macron.
Malgré les multiples demandes de précision, l’Élysée n’a pas précisé. (...)
la sortie présidentielle a été doublement désavouée. D’abord par le ministre des armées français Sébastien Lecornu, qui a rompu toute « ambiguïté stratégique » quelques heures plus tard devant l’Assemblée nationale en déclarant : « Ça ne veut pas dire envoyer des troupes pour faire la guerre à la Russie. » Et ensuite par ses partenaires internationaux. (...)
Le chancelier allemand Olaf Scholz a carrément affirmé qu’« aucun soldat » européen ou de l’Otan ne serait envoyé en Ukraine. (...)
En France, les oppositions montent au créneau
Sur le plan intérieur, les propos présidentiels ont suscité les réactions outrées d’une grande partie de la classe politique, révélatrices des grilles de lecture du conflit préexistantes dans chaque force politique. (...)
La défense laborieuse d’une diplomatie du « coup d’éclat »
Une grosse part de la responsabilité pèse cependant sur l’exécutif lui-même. Une fois encore, Emmanuel Macron a lancé une idée sans avoir pris le temps de la concertation. L’épisode rappelle sa proposition de « coalition » contre le Hamas, annoncée en octobre 2023 et déjà oubliée.
Et comme à l’accoutumée, les propos du président de la République étaient assez vagues pour que chacun·e en fasse sa propre interprétation, y compris les membres de la majorité contraints d’en assurer le service après-vente. (...)
Dans l’immédiat, Emmanuel Macron a gâché l’occasion d’une discussion construite sur un scénario encore hypothétique, mais que des spécialistes peu suspects de vouloir une escalade militaire prennent au sérieux. Elle aura désormais lieu en étant lestée par le poids mort de la diplomatie du « coup d’éclat permanent » pratiquée par Emmanuel Macron, sans résultat probant à ce jour. (...)