
Si des points de bascule du climat sont envisageables, le contrôle du réchauffement climatique reste possible, explique Valérie Masson-Delmotte. À condition d’un engagement politique dans le bon sens.
Valérie Masson-Delmotte est paléoclimatologue, membre du Haut Conseil pour le climat et a été coprésidente jusqu’en juillet 2023 du groupe 1 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec).
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(...) On a déjà acté des conséquences à long terme, parce qu’on a mis en mouvement les composantes lentes du climat. Mais l’évolution à venir de la température à la surface de la Terre dépend de ce que nous ferons. Si l’on ramenait maintenant à 0 les émissions mondiales de gaz à effet de serre, nous n’aurions pas de réchauffement en plus du 1,15 °C actuel de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle.
Sauf que l’on continue d’accroître les émissions au rythme annuel de 40 milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère...
Le potentiel technique permettrait de diviser par deux les émissions mondiales de gaz à effet de serre, tout en répondant aux besoins de base de chacune et chacun. Mais cela n’est pas mis en œuvre. De très nombreux acteurs économiques ne comprennent pas l’urgence à transformer les pratiques et à sortir des énergies fossiles. (...)
la Première ministre et par des ministres qui sont en première ligne, qui comprennent bien les enjeux de décarbonation de l’économie. D’autres ministres sont plus éloignés de ces sujets. J’ai fait un préambule, puis j’ai répondu aux questions qui étaient parfois étonnantes. (...)
Les gouvernements, les responsables régionaux et des collectivités locales ont des valeurs enracinées depuis des décennies, dans un modèle qui n’est plus adapté aux enjeux d’aujourd’hui. La mise en œuvre des objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre monte en puissance, mais le droit de l’environnement laisse avancer de grands projets en étant faible sur les études d’impact environnemental, avec des hypothèses parfois fantaisistes. (...)
Par ailleurs, on voit apparaître un narratif très préoccupant qui oppose des élites scientifiques ou urbaines aux besoins des territoires ruraux, alors qu’en réalité, ces derniers subiront en première ligne les conséquences d’un climat qui change. (...)
Je me suis penchée récemment sur les acteurs qui financent la recherche sur la manipulation délibérée du climat, la géoingénierie solaire. Ce sont des fondations privées de milliardaires américains de la tech, qui rejoignent là les intérêts des milliardaires qui investissent dans les énergies fossiles. C’est une sorte d’alibi qu’ils se donnent pour ne pas agir sur les déterminants des émissions de gaz à effet de serre.
Comment les faire évoluer, et est-ce seulement possible ?
C’est la question de fond. Leur vision des choses, c’est de préserver des modes de vie ultra-émetteurs le plus longtemps possible.
Que faire si cela n’évolue pas ?
Toute la force de frappe du marketing pousse à adopter ce type de style de vie absolument intenable. (...)
ce qui me frappe, c’est l’importance du pouvoir politique. Il joue un rôle clé dans l’évolution de la fiscalité, des modèles énergétiques, agricoles, des échanges commerciaux, des règles du jeu. L’exemple le plus frappant est celui du Brésil, qui avait réussi à freiner la déforestation de l’Amazonie. Bolsonaro a défait cela en quelques années et provoqué une déforestation galopante. Et puis de nouveau, [avec Lula] cette année, reprise de contrôle : la déforestation reste importante, mais elle a baissé d’un quart par rapport à l’année précédente. Cela montre l’importance des personnalités au pouvoir, de leur engagement, leurs valeurs. (...)
On a construit la sorte de paix sociale en France, comme dans beaucoup de pays, sur la consommation. L’enjeu est d’arriver à dire : on va faire des efforts collectivement, il faut qu’il soit partagé, donc il sera plus important pour ceux qui ont les plus grandes ressources. L’effort doit être perçu comme juste, et doit mettre l’accent sur la maîtrise de la consommation. (...)
Face à la montée en puissance des nationalismes associée à la vision d’une utilisation croissante d’énergie fossile, les forces de progrès ont du mal à se coordonner. Le grand défi est maintenant de montrer des alternatives possibles à une échelle suffisante et qui soient désirables.