
Un rapport, rendu public mardi, presse l’État d’enclencher un troisième grand plan de rénovation des quartiers populaires. Le gouvernement a reçu le rapport mais a décidé… de ne rien en faire pour le moment.
Après deux décennies de grands projets de renouvellement urbain, l’État s’apprête-t-il à mettre un coup d’arrêt à la rénovation des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ? L’accueil réservé, mardi 18 février, à un rapport sur le sujet alimente l’inquiétude quant aux intentions de l’exécutif.
Créée en 2003 par Jean-Louis Borloo, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) a rénové près de 900 quartiers en deux grandes vagues, respectivement lancées en 2004 et 2014. Dix ans plus tard, en février 2024, le gouvernement – alors dirigé par Gabriel Attal – avait commandé un rapport censé répondre à une question simple : faut-il lancer une « Anru 3 » ? et si oui, sous quelle forme ?
Dans leurs conclusions, le maire socialiste de Villeurbanne (Rhône), Cédric van Styvendael, la directrice générale de l’Anru, Anne-Claire Mialot, et l’inspecteur général Jean-Martin Delorme partagent une « conviction » : la « nécessité de poursuivre une politique de renouvellement urbain centrée sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville ». (...)
Au grand dam des acteurs et actrices de ces territoires, le gouvernement n’a pas prévu de suivre, à court terme, les recommandations du rapport. Car au-delà des déclarations d’intention, les signataires et les maires de communes populaires sont unanimes sur la nécessité d’agir vite pour donner une continuité aux programmes de renouvellement urbain.
Le rapport évoque le lancement « en 2025 » d’une troisième génération de projets. « Je serais extrêmement déçu et surpris que les ministres n’annoncent pas une suite, confiait lundi Cédric van Styvendael, le maire de Villeurbanne. Si on n’enchaîne pas, ça veut dire qu’on se prépare à un trou d’air et à plusieurs années d’immobilisme. » Son homologue socialiste de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), Mathieu Hanotin, insistait récemment sur « l’urgence à décider » et les « conséquences absolument dramatiques » qu’aurait « un manque d’anticipation ».
Des appels qui n’ont pas trouvé grâce aux yeux de l’exécutif. (...)
Officiellement, l’exécutif n’appelle à rien d’autre qu’à « prolonger la réflexion » d’un rapport « très intéressant ». Simple décalage dans le temps ou volonté de ranger discrètement dans les tiroirs un document qui appelle à des investissements coûteux pour l’État, en période de diète budgétaire ? Une solution qui ne serait pas pour déplaire aux employeurs qui, via Action logement, financent les deux tiers des projets de l’Anru.
« Je suis inquiet d’un tour de passe-passe qui finisse par enterrer le rapport », reconnaissait lundi Cédric van Styvendael. Sollicité à nouveau mardi à l’issue de la réunion à l’hôtel de Roquelaure, il confirme ses mots de la veille : « Je suis surpris et déçu. » (...)
Politiquement, les banlieues n’ont pas la cote
Au-delà des enjeux économiques, la proposition, formulée par les trois corédacteurs, d’un « plan interministériel de mobilisation en faveur des QPV » a tout pour se fracasser sur le mur de l’époque. L’air du temps n’est plus aux grands discours sur l’égalité républicaine et la lutte contre « l’apartheid » subi par les banlieues, comme le disait Manuel Valls en 2015, mais à la remise en cause des agences de l’État et à la dénonciation de banlieues prétendument favorisées par l’argent public au détriment de la ruralité.
Voilà longtemps, déjà, que Marine Le Pen dénonce « la coûteuse politique de la ville », « ces milliards qu’on déverse dans les banlieues année après année avec efficacité zéro », qu’il serait urgent de « réorienter vers les campagnes parce qu’elles en ont besoin ». Inquiet des succès électoraux de l’extrême droite, le camp présidentiel a semblé tétanisé depuis sept ans par ce type de critique, désormais audible au sein même de la coalition au pouvoir. (...)
Loin des espérances des actrices et acteurs de la rénovation urbaine, la seule annonce formulée mardi par le gouvernement… ne figure pas dans le rapport. L’exécutif a annoncé qu’il confierait prochainement une « revue de projets » à une mission indépendante, pour « faire un état des lieux des projets » lancés dans le cadre du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU – deuxième phase des projets Anru). Une proposition qui laissait perplexes, lundi, plusieurs sources interrogées par Mediapart, lesquelles soulignaient le caractère habituel de ces inspections d’ordinaire menées par l’Anru.
Deux urgences : le climat et la ségrégation (...)
La question de la participation des habitant·es est également au cœur des travaux rendus au gouvernement, en cela qu’elle fait figure de talon d’Achille des projets de l’Anru. Trop souvent réduite à une consultation formelle, organisée dans des conditions qui rendent difficile une véritable appropriation populaire, la consultation pourtant prévue par les textes apparaît comme « une case à cocher dans le processus », notent les auteurs, qui appellent à « inventer un changement de culture partenariale ». (...)
Au nom de la lutte pour la « mixité », l’Anru a partout œuvré pour diversifier l’offre de logements et pour attirer des classes moyennes dans les quartiers. Mais elle a buté sur plusieurs écueils, à commencer par l’incapacité (ou l’absence de volonté) de l’État à faire appliquer la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU) de 2005, qui impose aux villes de plus de 3 500 habitant·es un quota minimum de logements sociaux.
Faute d’application stricte des sanctions prévues, de très nombreuses communes s’accommodent des amendes de l’État et maintiennent les populations les plus pauvres dans les villes les plus pauvres. Une situation à laquelle s’ajoutent toutes les inégalités et les discriminations. (...)