 
	Vingt ans après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, Politis consacre un numéro spécial aux violences policières dans les quartiers populaires. Cette tribune initiée par l’association ACLefeu – née à Clichy-sous-Bois en 2005 – vise à rassembler les voix de celles et ceux qui refusent l’oubli.
Dans le même dossier…
- À Nanterre, « les grands nous protègent plus que la police »
- Depuis Zyed et Bouna, la police tue toujours plus
- Famille de Nahel : « On nous regarde de loin, à travers des clichés »
- Zyed et Bouna, 20 ans après
Le 27 octobre 2005, Zyed Benna et Bouna Traoré meurent à Clichy-sous-Bois, poursuivis par la police. Leur mort provoque trois semaines de révoltes sociales dans tout le pays. Des centaines de quartiers se soulèvent, des milliers de jeunes sont interpellés. La réponse politique, elle, se résume à l’état d’urgence. Mais dans ce sillon de colère et d’injustice naît aussi une énergie collective.
À Clichy-sous-Bois, Mohamed Mechmache, éducateur de rue, crée avec d’autres habitants ACLefeu, une association qui entreprend un tour de France des quartiers populaires. Partout, des habitantes et habitants remplissent des cahiers de doléances, racontent leur vie, dénoncent les discriminations et formulent des propositions pour construire une société plus juste. « Les habitants des quartiers ne sont pas le problème, ils sont une ressource et une partie de la solution », répète alors Mohamed Mechmache.
« Qui parlerait d’émeutes pour qualifier les actions des agriculteurs, des gilets jaunes ou des ouvriers en lutte ? »
(...)
C’est un vocabulaire politique discriminant, un outil de disqualification. Il efface les causes sociales et raciales des mobilisations pour n’en garder que les images spectaculaires de colère. Ces mots, répétés année après année, finissent par produire des effets bien réels : la peur du contre-pouvoir, la suspicion envers toute organisation issue des quartiers, la disqualification, voire la criminalisation du militantisme.
« Les habitants des quartiers populaires ne sont plus vus comme des citoyens, mais comme des suspects. »
Et à mesure que la défiance s’installe, la stigmatisation s’intensifie (...)
2021-2025 : les voix des premiers concernés
Après le tour de France d’ACLefeu en 2006, puis celui de la commission Bacqué-Mechmache en 2012, Pas sans nous a repris le flambeau en 2021-2022. 44 villes, 74 quartiers, des centaines de débats, des milliers de questionnaires. (...)
Partout, le même constat : l’injustice sociale et les discriminations raciales structurent le quotidien des quartiers populaires. Dans le logement : « Une personne noire a plus de difficultés à trouver un logement » ; « Difficulté d’accès au logement selon la sonorité du nom » ; « Des attributions par piston ». Dans l’emploi, l’école, les services publics : même diagnostic. Dans la culture, la santé, l’écologie : même sentiment d’exclusion. (...)
Et sur la religion, un constat glaçant : « L’islam fait peur et est combattu en France. » Les habitantes et habitants décrivent une République à deux vitesses, où le discours sur l’égalité des chances ne masque plus la réalité du racisme systémique. Ils dénoncent aussi le rôle des médias dans l’alimentation des discours de haine (...)
Et exigent une chose simple : qu’on arrête d’utiliser les habitants des quartiers comme réservoir de voix ou comme boucs émissaires à chaque élection (...)
Vingt ans après les révoltes de 2005, la stigmatisation des habitants des quartiers populaires n’a pas diminué. Elle s’est même institutionnalisée, culminant avec la loi « confortant les principes républicains », dite loi contre le « séparatisme », qui a servi à surveiller, contrôler et punir les associations issues des quartiers, plutôt qu’à renforcer la démocratie. Pourtant, ces vingt années ont aussi prouvé une chose : les quartiers populaires, malgré les entraves, continuent à se mobiliser, à proposer, à construire. Des luttes pour le logement aux collectifs contre les violences policières, des associations de femmes aux initiatives écologiques locales, la vitalité démocratique est bien là.
Reconnaître un mouvement social à part entière
Les quartiers ne sont pas des déserts politiques. Ils sont juste désertés par une partie de la classe politique après chaque élection. Pourtant, depuis des décennies, les habitantes et habitants des quartiers populaires alertent sur le racisme, les discriminations et les inégalités (...)
Il est regrettable que les luttes menées dans les quartiers populaires continuent d’être invisibilisées. Ça l’est d’autant plus que certains partis de gauche persistent à priver les habitants et les militants de ces quartiers de la légitimité de leurs propres combats, en les infantilisant et en confiant à d’autres le soin de porter leur voix et leurs revendications dans la sphère politique.
La parole des habitantes et habitants des quartiers populaires est légitime
Leur colère est politique. Leur engagement est un mouvement social à part entière, et non une succession d’émeutes. Reconnaître cela, c’est enfin accorder à ces citoyennes et citoyens le droit d’être considérés comme tout le monde :
• Le droit à la dignité, à la parole, à l’égalité.
• Le droit de participer aux décisions qui les concernent, qui nous concernent tous.
• Le droit, tout simplement, d’exister pleinement dans la République.
Nous vous invitons à signer et à relayer cet appel.
• Parce qu’aucune démocratie ne peut se prétendre juste si elle continue d’exclure celles et ceux qui la font vivre au quotidien.
• Les quartiers populaires ne sont pas un problème à gérer, mais une force vive de la République, une solution à construire.
• Vingt ans après 2005, leurs voix ne demandent plus à être entendues : elles exigent enfin d’être reconnues, respectées et écoutées, comme partie intégrante du mouvement social et démocratique de notre pays.
