
Avec la perspective d’un second mandat de Trump à la Maison-Blanche, jamais la situation de la Russie n’a paru aussi favorable face à l’Ukraine. Pourtant, derrière la façade, la position de Vladimir Poutine est bien plus précaire qu’il n’y paraît.
(...) Depuis la tentative d’invasion ratée du 24 février 2022, ce conflit ne cesse de déjouer les anticipations des analystes. (...)
Il est impossible de prédire l’avenir, toutefois il est possible d’identifier les points d’attention à suivre pour tenter de comprendre comment la Russie va évoluer dans ce conflit (les points d’attention concernant l’Ukraine seront abordés dans un autre article). Pour Poutine, les défis sont nombreux et parmi ceux-ci, on peut distinguer ceux qui concernent les opérations militaires, ceux qui touchent aux actions informationnelles qui nous visent et ceux qui concernent la situation économique du pays. (...)
Conserver l’initiative sur le front
Depuis l’échec de l’offensive d’été ukrainienne en 2023, l’armée russe possède l’initiative grâce à sa supériorité numérique qui lui permet de mettre sous pression plusieurs portions du front, et d’ignorer les tentatives ukrainiennes de reprendre la main. (...)
L’idée des stratèges russes est de maintenir sous pression l’armée ukrainienne pour conserver l’initiative et l’empêcher de reprendre des forces pour relancer une offensive. (...)
Cette lutte pour l’initiative est liée à deux facteurs essentiels : la capacité offensive et la supériorité numérique. Pour conserver la capacité de manœuvre offensive, l’armée russe doit maintenir sa domination aérienne, qui lui permet d’écraser les défenses ukrainiennes sous les bombes planantes, et en artillerie.
Après une année difficile, les livraisons nord-coréennes de munitions (et même de canons automoteurs de 170 mm et de mortiers de 240 mm) ont permis à Moscou de garder son avantage en appui feu, mais il reste à savoir si une aide d’une telle ampleur va pouvoir durer en 2025. De même, les fournitures de composants électroniques de contrebande ou chinois vont-elles pouvoir se maintenir au niveau suffisant pour que l’industrie russe soit capable de continuer de fabriquer des équipements nécessaires en masse sur le front ? En effet, si le soutien iranien est très visible (avec les drones Shahed), le soutien matériel chinois va devenir de plus en plus décisif pour l’effort de guerre russe. (...)
Or, depuis la mi-novembre, on constate sur le terrain une réduction du nombre de bombes planantes lancées par les Russes, qui peut être due à la météo, mais aussi à des problèmes plus structurels (difficulté de production des kits transformant l’immense stock de bombes aériennes inertes en bombes planantes, ou dégradation de la disponibilité des avions lanceurs de bombes). Sans l’appui massif de l’artillerie et des bombes aériennes, l’armée russe ne pourra maintenir la pression et conserver l’initiative.
Les soldats et le « réservoir d’hommes »
Une autre question concerne les effectifs que Poutine peut engager dans des opérations très coûteuses en hommes. Tout a été dit sur les difficultés de recrutement et de mobilisation des Ukrainiens, mais la situation des Russes est à peine meilleure. Si le « réservoir d’hommes utilisables » par Moscou était au départ bien plus important que celui de Kyiv, il n’est pas inépuisable et les signes de ce que les limites commencent à être atteintes apparaissent.
Depuis un an, la Russie a lancé une campagne agressive de recrutement à l’étranger pour tenter de combler ses besoins en hommes « sacrifiables », après avoir recruté tous ses inactifs, y compris en vidant ses prisons. Ainsi, on ne compte plus les signalements de soldats africains (Rwanda, Burundi, Congo, Ouganda…), indiens, népalais, ou cubains recrutés pour aller combattre sous l’uniforme russe sur le front ukrainien.
Ces apports restent évidemment limités et la majeure partie des effectifs est russe, mais cela montre l’apparition de difficultés pour l’état-major d’alimenter ses offensives.
L’arrivée d’une masse de soldats nord-coréens serait ainsi un nouveau moyen de conserver l’initiative. (...)
Au-delà de l’aspect symbolique, c’est une nouvelle illustration de la nécessité pour les stratèges de Poutine de trouver des effectifs suffisants pour maintenir le rythme d’attaques indispensables pour garder l’initiative.
Manipuler les opinions occidentales
Tout a été dit sur l’influence énorme, et hostile, que la Russie exerce sur les démocraties occidentales.
L’ennui est qu’au-delà des dénonciations de façade, rien ou presque n’est fait pour faire cesser cette influence. Les mesures prises sont rapidement contournées, et surtout les effets de cette action informationnelle se matérialisent dans les différentes élections publiques. Sans évoquer la réélection de Trump, il suffit de rappeler le résultat inattendu et inquiétant du candidat prorusse en Roumanie au premier tour de l’élection présidentielle le 24 novembre.
L’expérience montre que la dénonciation des ingérences étrangères ne suffit pas pour les priver d’effets, surtout à long terme (...)
Il faudra donc observer la façon dont les institutions des démocraties européennes organisent leur défense face à ces actions informationnelles en 2025, en espérant que la passivité laisse la place à de vraies actions, comme des poursuites contre les agents d’influence les plus dangereux de Poutine. (...)
Du point de vue de Moscou, il reste la question de savoir si l’effort considérable consenti pour créer et maintenir en activité les réseaux médiatiques d’influence dans les démocraties occidentales va pouvoir être poursuivi, en termes de coûts et de légalité des actions. Cette action informationnelle est essentielle pour affaiblir le soutien occidental à l’Ukraine, en commençant par diviser les Occidentaux (...)
Survivre au choc économique qui s’approche
Un autre des grands défis pour la Russie en 2025 sera vraisemblablement celui de survivre au choc économique qui s’annonce de plus en plus violent. En 2023, l’économie de la Russie a paru résister à la surchauffe due au passage à une économie de guerre et aux contraintes énormes liées au conflit et aux sanctions internationales. Cette résistance de l’économie russe est l’une des grandes surprises des analystes (avec l’absence d’opposition sérieuse de la société russe à la guerre de Poutine).
À la fin de l’année 2024, la situation économique et financière se dégrade de plus en plus rapidement. (...)
La Russie a jeté toutes ses ressources humaines, économiques et financières pour finir la guerre en 2025. La nécessité de devoir soutenir un effort de plus en plus important une troisième année ne présente guère pour Moscou de perspectives économiques favorables, sauf évidemment une aide massive et de grande ampleur de la Chine.
C’est en cela que l’arrivée de Trump peut changer les choses en permettant à Poutine d’obtenir un succès au moins symbolique qu’il risque de n’être plus capable d’obtenir en 2025 autrement que grâce à une négociation biaisée.