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A Carcassonne, les crèmes glacées ont un bon goût de coopérative
Article mis en ligne le 25 mars 2015
dernière modification le 20 mars 2015

Ils s’étaient fait « manger par le capital ». Dix-neuf ouvriers de l’ancienne usine Pilpa ont créé une Scop de glaces artisanales, fabriquées à partir de fruits de la région. Les ouvriers sont devenus patrons, gèrent collectivement l’entreprise... et ça marche. Reportage.

Carcassonne, reportage

 Alors, vous en êtes où ?
 Ça infuse…

La vanille de Madagascar exhale son parfum, plongée gousses ouvertes dans du lait entier. Autour des cuves, Kevin et Yannick s’activent. Demain, la production sera lancée. En attendant, d’autres ouvriers font des travaux : il faut retirer le câblage de l’immense chambre froide où étaient entreposées les glaces quand l’usine produisait en quantités industrielles pour Disney, Oasis, Fauchon ou Orangina…

« Avant, cinq personnes faisaient 2800 pots à l’heure, précise Jérôme, « chef de ligne », qui veille au bon fonctionnement de la production. Aujourd’hui, à six, on en fait 600 à l’heure ! Il n’y a presque rien d’automatisé. »

Quand les travailleurs de la Fabrique du Sud, à Carcassonne, racontent leur histoire, les mots « avant » et « après » reviennent comme un leitmotiv. Avant, c’était du temps de Pilpa, une usine de glaces créée il y a 42 ans par une coopérative laitière. Au fil du temps, le lait frais a été remplacé par du lait en poudre, les parfums naturels par des arômes artificiels, et les glaces ont été gonflées d’air – moins de matière première, plus de volume, et plus de profit. (...)

En juillet 2011, l’entreprise est rachetée par R&R Ice Cream, une multinationale anglo-allemande financée par un fonds de pension américain. Un an plus tard, le groupe annonce la fermeture de l’usine.
« C’est intéressant d’être patrons et ouvriers »

Les 120 salariés démontrent, expertise comptable à l’appui, que le site est rentable et que sa fermeture est une question de stratégie financière. L’exemple des Fralib, qui se battent pour reprendre leur usine de thé près de Marseille, interpelle les syndicalistes, et le projet de créer une Scop (Société coopérative de production) mûrit peu à peu.

Après un an de lutte, ils obtiennent de la multinationale des indemnités de licenciement et un budget de formation conséquents, ainsi que la somme de 815 00 euros pour que la Scop puisse acquérir du matériel.

L’agglomération de Carcassonne achète une partie des locaux. Dix-neuf ouvriers et techniciens choisissent de rejoindre la Scop. Ils investissent chacun 5000 euros et 45 % de leurs droits au chômage.

Aujourd’hui, dans le bâtiment devenu trop vaste pour eux, ils semblent encore un peu sonnés par l’ampleur du changement. Autrefois simples exécutants de produits formatés, les Pilpa inventent leurs propres recettes. « On fait de bonnes glaces et on est fiers de nous, résume Sebastiana, qui était dans l’entreprise depuis dix-sept ans. C’est intéressant d’être patrons et ouvriers à la fois. On réfléchit ensemble : comment installer la ligne de production ? Comment emballer ? » (...)

En dehors des réunions, c’est à table que les gens de la production, du service commercial et de l’administratif se rencontrent. Ce jour là, il y a aussi Michel. Ancien agent EDF, syndicaliste, il est l’une des chevilles ouvrières de l’association Les amis de la Fabrique du Sud.

« Ce qui m’a passionné dans cette histoire, c’est qu’on est au cœur du capital. Là, on peut faire de l’éducation populaire ! » s’enthousiasme-t-il. Avec Rachid, représentant CGT qui a mené la lutte des Pilpa avant de prendre sa retraite, et quelques bénévoles, il écume les centres de vacances et les foires pour présenter La Belle Aude et faire connaître l’économie coopérative.

Forte de ses 830 adhérents, l’association a investi 15 000 euros dans la Scop. C’est elle qui recueille les dons et les mots de soutien, comme celui de Suzanne, 79 ans : « Montrez à tous les salauds qui licencient de quoi les ouvriers sont capables. Vous êtes mon denier du culte… et en vous, je crois. » (...)

L’association joue aussi les aiguillons en continuant à porter le projet politique dont est née la Sc’p. « Je dis aux salariés que grâce à leur lutte, un bâtiment qui appartenait à un fonds d’investissement est désormais le bien de la population carcassonnaise, souligne Michel. Maintenant, il faudrait que le site soit vraiment géré démocratiquement, et ouvert à d’autres porteurs de projets. Il y avait un projet de plate-forme coopérative de l’agroalimentaire, mais ça n’avance pas beaucoup. »

Michel rêve également d’un réseau indépendant, porté par les adhérents de l’association, qui permettrait à la Scop de se passer de la grande distribution…

Les salariés, eux, pensent d’abord à la survie de leur entreprise. « C’est vrai que la grande distribution, c’est un peu ce qui nous a zigouillés, reconnaît Maxime, le directeur. On aimerait travailler aussi avec la restauration collective, et les épiceries fines et locales. Mais pour l’instant, on est dans la précipitation : on doit doubler cette année le chiffre d’affaires, alors que les gens n’ont pas eu l’impression de se tourner les pouces ! Il nous faut du volume. »

Une autre idée, lancée pendant les mois de lutte, est pour l’instant passée à la trappe : l’égalité salariale. Les coopérateurs ont adopté une convention collective et quatre types de postes, dont les rémunérations s’échelonnent de 1250 à 1900 euros net.vCela fait grincer quelques dents…

« Même si on est une Scop, les gens ne s’investissent pas tous de la même manière », argumente Maxime. Pourtant, même gratifié du plus haut salaire, le directeur reste un travailleur comme les autres : sur le tableau de répartition du ménage, il a en charge les toilettes… (...)