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Accès à l’université : « Des algorithmes locaux seront utilisés pour faciliter la sélection ! »
Article mis en ligne le 6 mars 2018
dernière modification le 5 mars 2018

La loi « orientation et réussite des étudiants » vient d’être adoptée dans la précipitation par le Parlement. La loi introduit la possibilité pour les universités d’effectuer une sélection des étudiants. Elle risque, tout comme la réforme du bac, d’accentuer encore davantage les inégalités dans l’accès à l’enseignement supérieur entre élèves de centre-villes et de banlieues. C’est bien à la « mise en concurrence des élèves et des établissements scolaires », ainsi qu’à la « constitution d’un marché de l’enseignement » que nous assistons, selon la sociologue Leïla Frouillou, maître de conférence à l’université de Nanterre. Entretien.

La réforme du bac et du lycée, ainsi que celle de la sélection à l’université, sont deux réformes complémentaires. Elles vont accentuer les inégalités entre les établissements. La réforme du baccalauréat entend faire jouer au contrôle continu un plus grand rôle dans l’obtention du diplôme. Une partie de la note finale serait attribuée à partir d’examens de type "partiels", qui auraient lieu à intervalles réguliers et seraient gérés au niveau de l’académie.

Il existe évidemment un risque que, selon les lycées et les académies, la note obtenue au diplôme ne soit pas perçue comme ayant la même valeur. Cette logique nous dirige vers une mise en concurrence des élèves et des établissements scolaires, et vers la constitution d’un "marché" de l’enseignement. Il existe déjà des différences d’accès à l’information, sur l’orientation et sur l’accès aux filières sélectives selon les différents lycées. Certains lycées orientent les élèves vers des filières sélectives, d’autres non. Cette inégalité d’accès selon les établissements d’origine va encore s’accentuer, avec la fin des épreuves communes à tous les lycées du pays.

Cette inégalité d’accès à l’université selon que l’on vient de tel lycée dans tel département sera-t-elle aggravée par la réforme d’accès à l’enseignement supérieur ?

Cette seconde réforme va aboutir à ce que toutes les filières de l’enseignement supérieur deviennent sélectives à partir de la rentrée 2018. De nombreuses formations du supérieur, classes préparatoires aux grandes écoles, écoles paramédicales, BTS [brevet de technicien supérieur, ndlr], IUT [institut universitaire de technologie, ndlr], instituts d’études politiques, sont il est vrai déjà sélectives. C’est une dynamique qui s’est accentuée depuis les années 1970.

A l’université, on a aussi observé une croissance des filières sélectives ces dernières années, avec la création de filières spécialisées à double discipline, comme la récente licence gestion et cinéma à Panthéon-Sorbonne par exemple. Les filières dites non-sélectives sont déjà en minorité, si l’on considère le nombre d’étudiants inscrits. (...)

Avec le système Parcoursup, le recteur devra fixer un pourcentage maximal accepté de mobilité à l’extérieur de l’académie. Ce qui ne va certainement pas rendre plus facile l’accès aux universités parisiennes pour les bacheliers des banlieues. Par ailleurs nous ne saurons pas grand-chose de ce pourcentage, variable selon les formations et les années.

Les précédentes réformes de l’enseignement supérieur, notamment la loi dite « LRU », qui a mis en place l’autonomie des universités, étaient-elles déjà dans cette logique de mise en concurrence ?

Les lois de réforme des universités de 2007, 2009 et 2013 ont mis en concurrence les établissements tout en leur attribuant une autonomie assez relative puisque, par exemple, la gestion des affectations en première année restait centralisée. La nouvelle loi dite « orientation et réussite des étudiants » renforce d’ailleurs l’autorité académique, notamment en ce qui concerne les capacités d’accueil. (...)

C’est une philosophie de « marché de l’enseignement » qui s’applique, et qui place les familles et les élèves dans une stratégie d’auto-entrepreneurs de leurs parcours scolaire : ils doivent investir dans leurs parcours, en attendant un retour en matière de rendement sur le marché du travail.

La réforme Parcoursup et la sélection généralisée ne risquent-ils pas de laisser nombre de bacheliers sur le carreau, sans université, sans formation ?

Le gouvernement dit que tout sera fait pour qu’il y ait le moins possible de bacheliers non affectés. Mais tout cela reste très opaque. (...)

dans nos instances universitaires, on nous dit que des algorithmes locaux seront utilisés pour faciliter la sélection !

Des algorithmes locaux ?

Oui, ils appellent cela des « aides locales pour le traitement automatisé des dossiers ». Par exemple, à l’université de Nanterre, nous avons reçu l’an dernier, via le système APB, 100 000 vœux d’entrée concernant l’une des formations dispensées à l’université. Cela pour 9000 places. Les dossiers étaient déjà traités automatiquement, en privilégiant les premiers vœux des candidats. Pour la rentrée prochaine, nous allons nous retrouver dans un système où les bacheliers vont devoir envoyer des dossiers de candidature à chaque formation qu’ils souhaitent suivre, sans hiérarchiser leurs vœux.

Or, nous sommes censés analyser tous les dossiers en deux semaines. Cela va être très difficile. Pour nous y aider, il y aurait donc un module d’aide automatisée à la décision. Le principe, c’est que vous avez la liste de tous les candidats, et vous pouvez donner la priorité à certaines variables : la note dans telle ou telle matière, le type de bac obtenu, etc. Donc vous faites des tris successifs, puis vous sélectionnez les candidats en fonction de ces différentes variables. Le résultat est un classement de tous les candidats, sans avoir forcément eu besoin de lire les projets motivés de chacun des milliers de dossiers envoyés. (...)

Avec ce système de sélection, on enferme les gens dans les compétences qu’ils avaient à quinze ans. La question est aussi celle du nombre de places dans les formations supérieures. Il n’y a tout simplement pas assez de capacité d’accueil pour tous les bacheliers. Si les bacheliers professionnels et technologiques avaient accès aux BTS quand c’est leur premier choix, on pourrait laisser ceux qui placent l’université en premier choix y aller et tenter leur chance. Car la réussite à l’université est aussi évidemment une question de motivation. (...)

Quel est l’état de la mobilisation contre ces réformes chez les universitaires ?

Début février, une douzaine d’universités ont été bloquées. Les directions et certains personnels des universités ne sont pas fondamentalement opposés à la sélection dans leur ensemble, car on les a mis dans une situation budgétaire dans laquelle il est difficile d’accueillir tous les étudiants dans de bonnes conditions. Et il y a une volonté dans certaines universités de former des « écoles » élitistes, des instituts, de se rapprocher du fonctionnement des universités aux États-Unis, comme avec la création de l’école de droit de la Sorbonne.

Mais il y a aussi des universitaires qui pensent que cela fait partie de notre mission d’accueillir tous les étudiants en première année, et qu’un étudiant possède un droit à l’erreur d’orientation quand il n’a que 17 ans. Mais nous ne sommes pas majoritaires, et par ailleurs cela dépend des disciplines. (...)