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La vie des idées
Où va la pauvreté en France ?
#pauvrete #inegalites
Article mis en ligne le 3 novembre 2025
dernière modification le 31 octobre 2025

L’idée de pauvreté, telle qu’elle est aujourd’hui comprise, résulte d’une construction qui a une histoire. L’historienne Axelle Brodiez souligne l’importance prise par certains publics particulièrement défavorisés, et esquisse les réponses à ce fait social.

Axelle Brodiez-Dolino est historienne, directrice de recherche au CNRS, au Centre d’histoire sociale des mondes contemporains. Elle travaille sur l’histoire de la pauvreté-précarité, de la fin du XIXᵉ siècle à nos jours.

Ses recherches portent sur les associations de solidarité, quelle que soit leur matrice

(...)

La Vie des Idées : Comment définissez-vous la pauvreté ?

Axelle Brodiez-Dolino : En tant qu’historienne, je ne la définis pas, j’essaie de regarder comment les acteurs la définissent au fil du temps. Ce qui apparaît, c’est que c’est une notion qui a l’air très simple et qui est en fait très compliquée. En tout cas, beaucoup plus compliquée qu’elle en a l’air.

Pendant très longtemps, il n’y a pas eu de définition de la pauvreté. On parlait des indigents, des miséreux, on traitait des mendiants et des vagabonds. Ce n’était donc pas une catégorie très importante en soi, en tout cas pas autant qu’aujourd’hui. C’est seulement depuis les années 1960 que c’est devenu une catégorie centrale.

On a d’abord essayé de définir la pauvreté. Ces tentatives ont été faites en Angleterre, à la fin du XIXᵉ siècle et au début du XXᵉ, de façon absolue : en se disant qu’est pauvre une personne qui n’a pas de quoi survivre, au point de vue alimentaire, vestimentaire, logement — un minimum de besoins de survie. On a essayé de quantifier des seuils, en particulier Charles Booth et Benjamin Rowntree, qui ont travaillé sur les villes de Londres et de York, et qui ont montré qu’au tournant du XIXᵉ et du XXᵉ siècle, il y avait à peu près 30 % de la population anglaise dans ces villes qui étaient pauvres.

Mais ça, c’était avec les besoins de base. Parallèlement, au même moment, d’autres types de définitions apparaissent (...)

La définition de la pauvreté n’est donc pas unique : il y en a plusieurs, elles sont complexes, mais complémentaires.

La Vie des Idées : Quelles sont les évolutions récentes ?

Axelle Brodiez-Dolino : D’abord, pour comprendre les évolutions récentes de la pauvreté, on peut regarder qui sont les personnes pauvres aujourd’hui. Les principales catégories sont : les inactifs (étudiants, personnes handicapées, personnes éloignées de l’emploi : 37 % sont pauvres) ; les chômeurs (36%) ; les familles monoparentales (35%) ; les personnes immigrées (32%).

On a donc une grosse catégorie dont environ un tiers des membres sont pauvres. Ce sont des évolutions qui remontent à loin, mais continuent aujourd’hui encore : la proportion de personnes pauvres dans ces catégories ne cesse toujours pas d’augmenter.

On a aussi des catégories moins exposées, mais qui le sont quand même : les moins de 18 ans, c’est-à-dire les enfants et les adolescents (22% sont pauvres), et les travailleurs pauvres, notamment les micro-entrepreneurs (19%). Ce sont donc des phénomènes à la fois démographiques et économiques.

Il n’y a pas un déterminant unique de la pauvreté, ni un type unique de pauvreté, mais plusieurs déterminants et plusieurs types. Deux déterminants sont fondamentaux : le chômage et la précarité de l’emploi. Le premier levier pour sortir de la pauvreté, c’est le travail. Sinon, aux minima sociaux, on reste sous les seuils de pauvreté. (...)

Depuis 2015, le chômage diminue, mais la pauvreté continue d’augmenter, notamment parce qu’elle est alimentée par les travailleurs pauvres et par les personnes durablement éloignées de l’emploi.

La pauvreté n’est pas compréhensible sans la relier aux politiques publiques, qui en sont à la fois causes et conséquences. Les principales évolutions récentes remontent aux années 1980, 1990 et 2000, parce qu’elles n’ont rien de nouveau. (...)

La première tendance lourde, c’est la rétraction de l’assurance chômage. (...)

La deuxième tendance, c’est la montée de l’urgence sociale : explosion depuis les années 1980 des aides alimentaires et de l’hébergement. (...)

Une autre évolution depuis les années 2000, c’est le durcissement du regard social porté sur les personnes pauvres. (...)

Ce discours s’inscrit dans une droitisation de la vie politique, avec deux types de discours : un discours identitaire et un discours sécuritaire. Cela a des impacts sur deux populations particulièrement concernées : les personnes passées par la prison, et les personnes étrangères.

Le nombre de détenus en France a doublé depuis les années 1990, dans des conditions indignes. La France a été condamnée pour cela. (...)

Du côté des étrangers, la France en accueille de plus en plus, la démographie le montre, en raison des crises géopolitiques et environnementales, mais les accueille et les insère de moins en moins bien. Ils vivent dans des conditions de plus en plus indignes, souvent sans abri, et dépendent massivement des associations. Aujourd’hui, 53 % des personnes accueillies par le Secours catholique sont étrangères : c’est ça, la très grande pauvreté actuelle.

Malgré tout, il se passe des choses très belles du côté des associations. Trois types de politiques publiques, progressistes et intéressantes, leur doivent beaucoup :

la lutte contre le non-recours aux droits, qui reste massif pour certaines prestations (jusqu’à la moitié des bénéficiaires potentiels) : à l’instigation des associations, les pouvoirs publics se mettent à faire beaucoup plus pour diminuer le non-recours ;
le développement de politiques d’investissement social, qui visent à traiter la pauvreté à la racine et à éviter sa reproduction générationnelle (il faut en moyenne six générations pour sortir de la pauvreté en France et arriver au niveau moyen, ce qui est en deçà de la moyenne de l’OCDE) ;
enfin, la promotion de nouveaux droits : droit à l’alimentation, droit à l’emploi.

Ce sont des idées progressistes qui peuvent faire avancer les choses de façon plus respectueuse pour la dignité des personnes.