De l’Antiquité à notre ère numérique, l’homme n’a cessé de nourrir le fantasme de l’immortalité. Alors que débute, le jeudi 8 novembre, “Ad vitam” sur Arte, de nombreuses séries imaginent des sociétés de “post-humains”. Décryptage par une professeure de lettres, un philosophe et un neurobiologiste.
Libérer l’homme de ses limites biologiques. Vivre pour toujours. Ce fantasme, qui remonte aux mythes de l’Antiquité, fait un retour en force sur nos écrans. Ad vitam, série de Thomas Cailley diffusée sur Arte, suit l’enquête d’un flic âgé de 119 ans (Yvan Attal) dans un avenir proche, où l’humanité aurait vaincu la Faucheuse.
Le western futuriste Westworld envisage la survie de l’homme dans un corps mécanique invulnérable. Tandis que sa conscience passe d’un corps à l’autre dans le polar cyberpunk Altered Carbon… Qu’importe le moyen pourvu qu’on ait l’éternité. L’imaginaire de la SF se trouve aujourd’hui à un carrefour captivant, où se croisent les révolutions scientifiques et technologiques de notre temps et les rêves du mouvement transhumaniste.
Des aspirations qui, à en croire ces fictions, pourraient vite déboucher sur des cauchemars… Nous les avons soumises au décryptage d’une professeure de littérature, d’un philosophe et d’un neurobiologiste. (...)
Clonage, biotechnologies, révolution numérique ont ouvert un champ infini des possibles aux auteurs. Comme les œuvres de SF qui les ont précédées et nourries (Blade Runner, Matrix…), ces séries ne se contentent pas de fantasmer une humanité nouvelle, elles mènent une réflexion vertigineuse sur ses conséquences politiques.
A quoi ressemblerait une société qui aurait vaincu la mort ? A un enfer sur terre pour les jeunes devenus les rejetons inutiles d’un monde (sur)peuplé de fringants centenaires, répond Ad vitam. Les robots humanoïdes de Westworld « questionnent l’accès à la conscience et l’assujettissement d’une intelligence artificielle ». Tandis qu’Orphan Black et ses clones agitent le spectre de l’eugénisme.
Terrifiantes perspectives qui feraient passer leurs auteurs pour d’incurables technophobes dépressifs… Hélène Machinal y lit plutôt « la crainte d’une appropriation par le politique et le militaire du progrès scientifique. La personne du savant fou du XIXe siècle est remplacée par une dynamique devenue folle, globalisée, désincarnée et incontrôlable qu’illustre, par exemple, la série Mr. Robot, où l’on découvre que le monde est contrôlé par deux groupes financiers. » En spéculant sur les humains de demain, ces fictions donnent surtout à réfléchir sur ce que nous sommes aujourd’hui, simples mortels en crise d’identité, taraudés par notre propre disparition.
Jean-Michel Besnier, philosophe : “Si on tue la mort, on tue le désir”
L’imaginaire foisonnant de la « post-humanité » donne inévitablement un écho angoissant aux rêves des transhumanistes, portés par les apprentis sorciers de la Silicon Valley : transformer l’homme pour créer une nouvelle espèce aux capacités physiques et cognitives décuplées. Le philosophe Jean-Michel Besnier (auteur de Demain les posthumains. Le futur a-t-il encore besoin de nous ?) en est un virulent pourfendeur. « La science-fiction a le mérite de nous faire toucher du doigt ce que projettent les prophètes du transhumanisme. Pour eux, l’aventure humaine est achevée et nous devons faciliter l’avènement d’une nouvelle espèce qui serait un mix entre l’intelligence biologique et l’intelligence artificielle. Il nous appartient, à nous humains, de monter dans le train sous peine d’être dépassés, réduits à la condition du chimpanzé. »
Le projet ultime des transhumanistes : tuer la mort. « Une imposture, une aberration, s’insurge le philosophe, qui convoque la sagesse antique. Ulysse a refusé l’immortalité que lui offrait Calypso, parce qu’il a préféré l’aventure qu’est la vie. Seuls les Dieux sont immortels. Le propre de l’homme réside dans le déchirement entre sa vulnérabilité et son désir d’absolu. L’immortalité, c’est la répétition, l’ennui, poursuit le philosophe. Si l’on tue la mort, on tue le désir avec ce qu’il comporte de déchirements, de souffrances, d’exaltation. » Ad vitam ne dit pas autre chose en montrant une société sclérosée, où les vivants à perpétuité sont devenus incapables de ressentir l’élan de la vie. De rêver l’avenir.
Alexis Evrard, neurobiologiste : “L’immortalité, un effet d’annonce”
Braver la mort et nourrir le fantasme populaire de la vie éternelle. Une chimère qui, des expériences soviétiques du début du XXe siècle au téléchargement du cerveau promis par les transhumanistes, n’a jamais paru aussi plausible. La réalité scientifique va-t-elle un jour concrétiser nos rêves — ou cauchemars — les plus fous, grâce à des savants qui le sont a priori de moins en moins ? Et valider ainsi les scénarios des auteurs ?
Selon le neurobiologiste Alexis Evrard, science et fiction vivent en symbiose. « Le travail d’un chercheur est avant tout créatif, il est normal qu’il puisse s’inspirer d’œuvres de fiction. Mais, si les auteurs de SF ont effectivement nourri les idées des transhumanistes, les déclarations fracassantes de Google et Ray Kurzweil sur l’imminence de l’immortalité relèvent plus de l’effet d’annonce. » C’est la douche froide. Et les séries ? Résistent-elles à l’analyse scientifique ? (...)
Avant de prendre exemple sur nos amis batraciens, interrogeons-nous sur la pertinence qu’il y a à vouloir à tout prix défier la mort. La grande majorité de ces séries traite paradoxalement ce thème de manière pessimiste. « Si la sélection naturelle n’a pas choisi l’option “immortalité”, c’est peut-être pour de bonnes raisons, notamment la surpopulation. On ne peut pas devenir éternel et continuer de se reproduire. A moins de se répandre dans l’Univers… » Ce n’est pas un hasard si le milliardaire mégalo Elon Musk a pour ambition de coloniser Mars d’ici 2024. Etudier la planète rouge, pour éventuellement l’habiter, une vieille lune évoquée dans la série The First, avec Sean Penn. Science et fiction, un dialogue éternel.