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Libération
Allemagne : contre l’extrême-droite, nous sommes « indivisibles »
Article mis en ligne le 29 octobre 2018

En Allemagne, les récentes manifestations contre l’extrême droite ont rassemblé bien plus largement que prévu. Un contre-pouvoir est apparu, qui refuse de hiérarchiser les souffrances ou d’opposer la classe ouvrière aux femmes, migrants ou musulmans

Au cours des dernières semaines, quelque chose s’est passé qui nous a tous surpris, nous, qui étions là pour le voir. Ou peut-être faudrait-il dire : quelque chose se passe. Et nous qui l’avons fait ensemble peinons même à y croire. « La puissance est toujours une puissance possible, et non une entité inchangeable, mesurable et sûre, comme l’énergie ou la force, écrit la philosophe Hannah Arendt dans Condition de l’homme moderne (1). Tandis que la force est la qualité naturelle de l’individu isolé, la puissance jaillit parmi les hommes lorsqu’ils agissent ensemble et retombe dès qu’ils se dispersent. » (...)

C’est peut-être la meilleure manière de le formuler : un contre-pouvoir est apparu. Dans de nombreuses villes et de nombreuses communes, à Hambach, Munich, Hambourg et récemment à Berlin, des femmes et des hommes de la société civile se sont rassemblés, jeunes et moins jeunes, chrétiens, musulmans ou juifs, gens de la ville ou de la campagne, désireux d’agir ensemble pour concilier toutes les différences. Un mouvement social est né qui ne veut plus se laisser intimider par les partis d’extrême droite, un mouvement composé d’êtres qui ne veulent plus attendre que d’autres agissent à leur place, ne veulent plus se laisser bercer par l’immobilisme politique des gouvernements de Berlin ou de Bruxelles, des hommes et des femmes qui ont compris que la démocratie européenne est notre bien commun. Nous, citoyennes et citoyens, devons non seulement la défendre, mais aussi l’étendre et l’approfondir.

A Berlin, une vaste alliance formée par différentes organisations issues de la société civile a appelé à se rassembler sous le slogan #unteilbar (#indivisibles) pour manifester contre le racisme et l’exclusion, et en faveur d’une société libre et ouverte. Les organisateurs attendaient 40 000 personnes : ils ont été 240 000 au rendez-vous. (...)

Si ce contre-pouvoir civil éclos au cours des dernières semaines est si remarquable politiquement, c’est parce qu’il ne s’embarrasse ni de la séparation classique en « milieux » ni des étiquettes identitaires. Ces manifestants ne se déclinent plus selon leur appartenance à une classe ou à un parti, mais orientent leur action par rapport à des problèmes bien réels, mus par la conviction ou la souffrance politique. Ce qui les rend plus libres, plus radicaux. Les efforts des néonationalistes issus aussi bien de la droite que de la gauche pour diviser la société à l’aune de « bonnes » ou de « mauvaises » exigences - on aurait d’un côté les revendications socio-économiques urgentes de la classe ouvrière, et de l’autre les revendications culturelles moins urgentes des femmes, des migrants, des musulmans - n’ont aucune prise sur nos manifestants. La pauvreté est aussi un stigmate culturel. Et le racisme et l’homophobie sont toujours des facteurs d’exclusion économique.

« Nous sommes indivisibles » : pour moi, cela veut dire que la hiérarchisation des êtres humains et de leur misère n’existe pas. (...)

L’humanisme que l’Europe aime à promettre doit être perceptible à ceux qui ont fui la guerre et sont venus chercher ici une nouvelle terre d’accueil, mais cet humanisme doit aussi devenir perceptible à ceux qui, s’ils n’ont pas perdu leur terre, ont besoin de plus d’enracinement et de reconnaissance pour en comprendre de nouveau le sens profond.

Une démocratie n’est pas un cadre fixe et prédéterminé, mais un ordre dynamique, susceptible d’évoluer. Une démocratie a toujours quelque chose d’expérimental, de provisoire, elle entraîne avec elle des erreurs, des égarements individuels ou collectifs. Savoir se pardonner mutuellement, voilà qui participe aussi de la texture morale d’une société démocratique - même si on a volontiers tendance à l’oublier dans une sphère publique éminemment agressive et polarisée. (...)

peu importe de savoir combien de personnes se rassemblent. Peu importe leur nombre. Car tel est notre espoir : qu’aux quatre coins de l’Europe se retrouvent des femmes et des hommes désireux d’être ensemble, indivisibles, s’engageant pour les droits et les chances d’autres individus, convaincus que les promesses de la démocratie n’ont pas été pleinement réalisées, appelant de leurs vœux plus de participation, plus de citoyenneté, plus de reconnaissance, et moins de haine, moins d’isolement, moins d’exclusion.