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Amnistie de politiciens corrompus : les Roumains font temporairement reculer le pouvoir
Article mis en ligne le 8 février 2017

Après trois semaines de mobilisation, la rue a gagné face au gouvernement roumain. Celui-ci a finalement abrogé l’ordonnance qui permettait de blanchir des centaines d’élus condamnés. La réforme n’est pas enterrée pour autant puisque le gouvernement va maintenant la soumettre au Parlement, où il dispose de la majorité. Mais cette mobilisation organisée de façon décentralisée grâce, notamment, à Internet, a permis à de nombreux Roumains de relever la tête et de se ré-intéresser à la politique. Reportage à Bucarest.

Un cours de droit express, pénal et constitutionnel, c’est ce qu’ont suivi volontairement des centaines de milliers de Roumains mobilisés contre la majorité parlementaire et gouvernementale du Parti social-démocrate (PSD) de Liviu Dragnea. Celui-ci a tenté de promulguer en douce – de nuit, sans passer par le Parlement, et contre les avis négatifs des institutions de la magistrature – une ordonnance d’urgence de modification du Code pénal.

Les décrets gouvernementaux ne passionnent pas spontanément les gens, en particulier en Roumanie où une grande partie de la population a pris ses distances avec la politique. Mais ce décret était trop gros pour passer inaperçu : les modifications en question permettaient de blanchir des centaines d’élus condamnés pour corruption ou abus de biens sociaux, et de classer les dossiers de ceux poursuivis par la Justice.
Une ordonnance qui devait blanchir tous les élus condamnés

Entre 2014 et 2016, pas moins de 1171 personnes, dont de nombreux politiciens locaux, nationaux et des hauts fonctionnaires, ont été condamnés pour abus de fonction. L’ordonnance promulguée en douce visait à dépénaliser cette infraction et à amnistier les délinquants dès lors que le préjudice ne dépasse pas 44 000 euros (200 000 lei). (...)

C’était compter sans la rue. De 200 manifestants à Bucarest le 11 janvier pour le premier rassemblement, la mobilisation a grossi au fil des semaines pour atteindre 600 000 manifestants dimanche soir 5 février, dans un pays de 20 millions d’habitants. Les protestations ne se sont pas limitées à la capitale. Les Roumains sont descendus dans la rue dans des dizaines d’autres villes, grandes ou petites,, et dans plusieurs capitales européennes. Ce sont les plus grandes manifestations depuis la chute du régime totalitaire de Ceaușescu, en 1989.

La Roumanie est peu coutumière des révoltes populaires. Le mouvement ne vient cependant pas de nulle part : en 2013, une mobilisation citoyenne a obligé le gouvernement Ponta (PSD) à renoncer à accorder un permis d’exploitation d’une mine d’or et d’argent de la région de Roșia Montană à une entreprise minière canadienne. En 2015 surtout, le même Victor Ponta a démissionné suite aux manifestations qui ont suivi l’incendie du club Colectiv à Bucarest. Le drame a fait 64 morts brûlés vifs, asphyxiés ou morts des suites de leurs blessures à l’hôpital, dont certains après avoir contracté une bactérie dans un scandale sanitaire lié à la corruption. Cette nuit d’horreur qui a traumatisé la jeunesse roumaine a donné lieu à la création de la page Facebook Corupția ucide, « La corruption tue ». C’est sur cette page qu’ont été lancés les appels aux rassemblements contre les ordonnances d’urgence. Elle risque de servir à nouveau : la réforme n’est pas enterrée, le gouvernement va maintenant tenter de la faire approuver par le Parlement, qu’il domine (...)

« C’est tous les mêmes », entendez « ils sont tous corrompus ». Cette phrase et ses variantes sont devenues des poncifs en Roumanie. Les racines du mal sont à chercher dans le changement de régime après la chute de la dictature communiste, dans le transfert des biens étatiques aux intérêts privés, dans la revanche d’une population privée ou expropriée. Et puis dans la longue absence de médias indépendants – la quasi-totalité des télévisions servant les intérêts d’un parti –, dans le déséquilibre entre les pouvoirs, dans l’omniprésence depuis 25 ans d’un parti, le PSD, mue post-révolutionnaire du parti communiste défunt, qui a pris l’habitude de gouverner comme il l’entendait, hors de la surveillance d’une part grandissante de la population. (...)