
Le 13 avril dernier, le président Macron appelait à annuler la dette des pays africains, en écho à une demande d’allègement portée quelques jours auparavant par l’Union africaine. L’annulation des remboursements de dette est effectivement une mesure essentielle pour accompagner les pays en développement dans la crise engendrée par la pandémie de coronavirus.
Alors, qu’à l’échelle du globe, 500 millions de personnes pourraient sombrer dans la pauvreté et qu’en Afrique la moitié des emplois pourraient disparaître, il devient inconcevable de continuer d’exiger des pays les plus pauvres de transférer des ressources cruciales aux pays les plus riches, à des banques ou au FMI et à la Banque mondiale. Pour l’année 2020, ce ne sont pas moins de 400 milliards de dollars qui pourraient être immédiatement mobilisés pour protéger les populations. Cependant, les créanciers internationaux restent divisés face aux appels à annuler les dettes. Oxfam vous explique ce qui est concrètement en jeu.
La dette, fardeau historique des pays en développement ?
Annuler les dettes : quand l’histoire se répète
« La dette ne peut pas être remboursée parce que, d’abord, si nous ne payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourront pas. Soyons-en surs. Par contre si nous payons, c’est nous qui allons mourir. ». Ces mots sont ceux de Thomas Sankara, président du Burkina Faso, à la tribune de l’Organisation de l’union africaine en 1987 à Addis Abéba. En 2020, ce célèbre discours prend une toute nouvelle résonance alors que le monde fait face à la pandémie de coronavirus. Et avec elle revient une fois de plus le sujet des dettes des pays du Sud.
En effet, depuis plusieurs décennies maintenant, la question de l’annulation de ces dettes se pose régulièrement. Le discours de Sankara de 1987 a lieu lors d’une décennie marquée par une crise des dettes après que nombre de pays en développement se soient retrouvés dans l’incapacité d’honorer celles-ci. (...)
L’échec des annulations de dettes du début des années 2000 est aussi lié aux conséquences dramatiques que provoqueront plus tard les conditions d’ « ajustements structurels » qui y furent imposées en contrepartie. C’est-à-dire l’imposition de réformes économiques visant notamment à réduire drastiquement les dépenses publiques, y compris dans les services sociaux les plus essentiels comme l’éducation ou la santé. A cet égard, l’examen de 161 rapports nationaux du FMI en 2018-19 révèle que les mesures d’ajustement envisagées par le Fonds sont majoritairement des plans affaiblissant les services publics et augmentant la pauvreté des populations les plus vulnérables : plafonnement de la masse salariale du secteur public, privatisation des services publics, réformes des soins de santé, réformes des retraites, augmentation des taxes régressives sur la consommation telles que la TVA, etc.
Enfin, les annulations de dettes du début du XXIème siècle furent aussi marquées par le rôle des fameux « fonds vautours » : ces banques et autres institutions financières privées peu scrupuleuses qui achetèrent à prix réduit les créances de dettes de pays au bord du défaut de paiement pour ensuite réclamer devant les tribunaux leur valeur d’origine, et ce sans considération pour la situation économique des pays et l’impact social pour les populations.
Avant le coronavirus : une crise de la dette en gestation
Au moment où, début mars, le coronavirus commence à se propager en Afrique, la dette de plusieurs pays du continent se fait insoutenable depuis déjà un certain temps. (...)
L’échec des annulations de dettes du début des années 2000 est aussi lié aux conséquences dramatiques que provoqueront plus tard les conditions d’ « ajustements structurels » qui y furent imposées en contrepartie. C’est-à-dire l’imposition de réformes économiques visant notamment à réduire drastiquement les dépenses publiques, y compris dans les services sociaux les plus essentiels comme l’éducation ou la santé. A cet égard, l’examen de 161 rapports nationaux du FMI en 2018-19 révèle que les mesures d’ajustement envisagées par le Fonds sont majoritairement des plans affaiblissant les services publics et augmentant la pauvreté des populations les plus vulnérables : plafonnement de la masse salariale du secteur public, privatisation des services publics, réformes des soins de santé, réformes des retraites, augmentation des taxes régressives sur la consommation telles que la TVA, etc.
Enfin, les annulations de dettes du début du XXIème siècle furent aussi marquées par le rôle des fameux « fonds vautours » : ces banques et autres institutions financières privées peu scrupuleuses qui achetèrent à prix réduit les créances de dettes de pays au bord du défaut de paiement pour ensuite réclamer devant les tribunaux leur valeur d’origine, et ce sans considération pour la situation économique des pays et l’impact social pour les populations.
Avant le coronavirus : une crise de la dette en gestation
Au moment où, début mars, le coronavirus commence à se propager en Afrique, la dette de plusieurs pays du continent se fait insoutenable depuis déjà un certain temps. (...)
Face au poids de ces dettes, plusieurs pays ont instauré des mesures d’austérité à travers une baisse de leurs dépenses sociales. Le résultat ? Avant même que le coronavirus ne soit apparu en Chine, 46 pays consacraient en moyenne quatre fois plus d’argent à rembourser leurs dettes qu’à financer les services de santé publique. Et la situation se détériore rapidement dans certains pays, à l’image du Kenya où les remboursements de la dette ont triplé en trois ans, passant de 7 % à 22 % du budget national, et impactant directement les dépenses sociales du pays. (...)
Depuis 20 ans, des dettes qui ont profondément évolué
Les dettes des pays en développement sont détenues par différents acteurs et institutions, qu’on appelle des créanciers. Ils peuvent être le fait :
D’autres pays (généralement plus riches) qui prêtent de l’argent. Par exemple la France qui prête de l’argent au Sénégal. On parle dans ce cas-là de dettes publiques « bilatérales » ;
D’institutions financières multilatérales qui ont pour mission de financer les politiques de développement des pays, comme c’est le cas du FMI, de la Banque africaine de développement (BAD) ou encore de la Banque mondiale. On parle de dettes « multilatérales » ;
D’acteurs privés, comme des banques commerciales ou des fonds de pension, qui prêtent de l’argent directement aux gouvernements. On parle ici de dettes issues de « créanciers privés ». (...)
Selon la China Africa Research Initiative de la Johns Hopkins School of Advanced International Studies, le gouvernement chinois et la Banque chinoise de développement ont prêté plus de 150 milliards de dollars à l’Afrique entre 2000 et 2018. Et la Chine n’est pas seule à révolutionner les dynamiques d’endettement : les créances détenues par le secteur privé ont également bondi ces dernières années pour atteindre désormais 32% du total des dettes africaines. (...)
Ces modifications sont synonymes de nouveaux défis pour les pays en développement, et en particulier l’Afrique. Ainsi, les taux d’intérêt à payer sur leurs dettes ont fortement augmenté ces dernières années dus aux taux bien plus élevés exigés par les créanciers privés. Mais aussi dans une moindre mesure par la Chine. Ainsi, si Chine et créanciers privés détiennent désormais 50% des dettes africaines, ils se partagent 72% de ce que les pays africains payent chaque année en intérêts. Ce qui démontre un accroissement des taux d’intérêts depuis 15 ans avec l’émergence de ces nouveaux bailleurs.
Face au coronavirus, l’urgence d’agir sur la dette
L’impact multiple du coronavirus pour les pays les plus pauvres
Au moment d’écrire ces lignes, la propagation du coronavirus dans les pays en développement d’Amérique latine, d’Afrique, d’Asie et du Pacifique est diverse. Le continent africain recense officiellement encore moins de 2000 morts liés au virus. Si la crise sanitaire tant craint sur le continent africain n’est pas encore là, le choc économique et social provoqué par la pandémie est lui déjà bien une réalité. Et en Afrique de l’Ouest, 33 millions de nouvelles personnes pourraient être menacées par la faim à cause du coronavirus. (...)
Un scénario noir est donc en train de se mettre en place : des recettes en baisses, des dépenses en hausse, et pour nombre de pays un poids de la dette qui pourrait provoquer une asphyxie. (...)
les pays à revenu faible ou intermédiaire doivent rembourser 400 milliards de dollars de dettes pour l’année 2020. Dans le cas du Sahel, une priorité géographique de la diplomatie française, les chiffres sont tout autant saisissants. Pour les six pays sahéliens francophones (le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad), le remboursement annuel de leurs dettes est équivalent à 140% des sommes allouées à leurs budgets de santé. (...)
Annuler les remboursements de dettes pour l’année 2020 serait ainsi la manière la plus rapide et immédiate de donner une bouffée d’oxygène aux pays en développement. L’argent le plus facilement mobilisable est en effet celui qui se trouve déjà sur les comptes des pays. Pour les pays du Sahel, la simple annulation des remboursements de 2020 pourrait permettre à 20 millions de personnes d’avoir accès aux soins de santé primaires. A contrario, continuer d’exiger le paiement des annuités de 2020 équivaudrait à demander de couper drastiquement dans les dépenses, y compris de santé et de protection sociale, avec un impact dévastateur pour les plus pauvres.
En d’autres termes, l’annulation est la manière la plus simple et rapide de sauver des vies ! (...)
Moratoire, annulation et les dernières décisions du G20
Conscient du risque, les appels à alléger les dettes se sont donc multipliés ces dernières semaines. Début avril c’est l’Union africaine qui s’était exprimée pour une telle mesure. Le Premier ministre du Pakistan, Imran Khan, ou encore le Président du Sénégal, Macky Sall, ont également demandé l’annulation de la dette de leurs pays et d’autres pays vulnérables. Même le Pape François a soutenu cet appel ! (...)
Ces demandes ont poussé les ministres des Finances du G20 le 15 avril dernier à un accord pour suspendre les remboursements de dette pour l’année 2020 des pays les plus pauvres. C’est ce que l’on appelle un moratoire. Douze milliards de dollars de remboursements prévus pour 2020 aux créanciers publics de 77 pays sont reportés à partir de 2022, avec des intérêts accumulés. Cette mesure prise par le G20 est significative et soutiendra la réponse immédiate au coronavirus mais le répit qu’elle offre aux pays pourrait être de courte durée.
Car en acceptant seulement de reporter les paiements au lieu de les annuler, les risques d’une crise de la dette pourraient juste être reportés à plus tard. (...)
L’annonce du G20 s’avère encore plus décevante au sujet des créanciers privés. En effet elle ne fait que les « encourager » à suspendre la dette, sur la base du volontariat. Par conséquent, les sommes dégagées par le moratoire sur les dettes détenues par les pays du G20 ou le FMI pourraient au final servir au paiement des spéculateurs privés au lieu d’être utilisées pour protéger les populations face au coronavirus.
Ce qu’il faudrait faire : #AnnulerLaDette, mais pas que…
Le moratoire est un premier pas, mais ne va pas assez loin. Oxfam exige désormais :
- D’acter au plus vite l’annulation pour l’année 2020 de tous les remboursements de la dette des pays en développement à faible revenu et des autres pays en développement qui subissent un grave impact sanitaire et économique. Ces annulations ne doivent en aucun cas être soumises à des conditionnalités qui conduiraient à des mesures d’austérité.
- D’ici la fin de l’année réévaluer l’impact réel de la crise et envisager des allégements de dettes plus conséquents dans les pays qui sont le plus impactés.
- Mobiliser des financements additionnels d’urgence en dons pour soutenir les pays en développement, notamment à travers une hausse massive de l’aide publique au développement ou encore l’émission par le FMI de droits de tirage spéciaux (une manière de transférer aux pays des réserves de change). Car annuler la dette ne saurait seule répondre au défi qui nous fait face.
Les créanciers bilatéraux du Club de Paris, mais aussi la Chine et les autres « nouveaux » créanciers bilatéraux non-membres du Club de Paris (comme le Brésil ou l’Inde), doivent dès lors montrer l’exemple en annulant au plus vite les remboursements bilatéraux qui leur sont dus. Le FMI doit participer à un état des lieux de l’endettement, éliminer tous les obstacles à ces mesures et veiller à ce que les accords incluent toutes les parties (créanciers privés, bilatéraux et multilatéraux). Le FMI peut également vendre une partie de ses immenses réserves d’or, dont la valeur a augmenté de 20 milliards de dollars au cours des trois derniers mois. Ces bénéfices exceptionnels suffiraient à eux-seuls à couvrir les paiements de la dette multilatérale dus cette année par les pays les plus pauvres.
Evidemment, il faut s’abstenir de conditionner à la fois le moratoire déjà acté mais aussi les potentiels futurs allégements de dettes à des ajustements structurels ou macro-économiques (...)
Des dettes déguisées en aide au développement
La grande particularité française est aussi que la majorité de ses créances de dettes (60%) sont issues de prêts d’aide publique au développement (APD). La France défend le fait que les prêts d’APD sont un instrument efficace pour participer au développement des pays les plus pauvres. Si ça peut être le cas, il est primordial néanmoins d’être équilibré et prudent. Or, en la matière la France est, après le Japon, le pays qui a le pire ratio prêts/dons dans son APD : 20% de l’aide française se fait sous forme de prêts quand la moyenne des pays du Comité d’aide au développement de l’OCDE est autour de 5%.
Il peut en résulter des risques. C’est le cas avec le Tchad et le Ghana où la France continuait jusqu’en 2018 à opérer une grande partie de son APD sous forme de prêts, et donc d’endettement. (...)
Et le contexte du coronavirus ne semble pas faire évoluer cette dynamique, bien au contraire. Début avril, l’Agence française de développement présentait la grande initiative française de réponse sanitaire au coronavirus en Afrique : 1,2 milliards d’euros mobilisés pour la santé. Sur cette somme, 1 milliard d’euros se feront sous forme de prêts. Le financement de la réponse à la crise du coronavirus par le biais de prêts risque d’échanger une crise humanitaire immédiate avec une crise de la dette à plus long terme. Crise qui pourrait être tout autant dévastatrice.
Quelle suite à donner dans les prochains mois ?
Désormais, Oxfam appelle la France à :
- Continuer à promouvoir sur la scène internationale une annulation des remboursements de dettes des pays en développement pour 2020.
- Envisager des restructurations de ses propres dettes bilatérales, c’est-à-dire un aménagement de la dette qui peut prendre la forme d’annulations, d’allègements en volume ou des taux, un allongement du calendrier de remboursement, etc.
- Accroître la transparence de ses encours de créance vis-à-vis de pays étrangers, mais aussi des calendriers de remboursements attendus.
- Rééquilibrer en urgence la part des dons au sein de sa politique de développement afin de se rapprocher de la moyenne des pays du Comité d’aide au développement de l’OCDE (95% sous forme de dons).
- Répondre avec sa juste part à l’appel de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) en faveurs d’une mobilisation de 500 milliards de dollars d’aide internationale pour les pays en développement. Selon les calculs d’Oxfam ceci représenterait pour la France au moins 14,5 milliards d’euros à mobiliser sous forme de dons.
- Eviter de comptabiliser en aide au développement les allègements de dettes, ce qui aurait pour effet de gonfler artificiellement les niveaux d’APD de la France.
Les prochains mois seront décisifs. Annuler les remboursements de dettes pour 2020 est une première étape fondamentale pour éviter que les pays les plus fragiles ne s’écroulent. Mais la solidarité doit déjà aller plus loin et être compléter d’une aide internationale nouvelle et massive. La France devra continuer d’être au rendez-vous !