
Depuis l’allongement à 90 jours de la durée maximale d’enfermement en France, voté en 2018, les centres de rétention administrative se retrouvent saturés. Reportage à Lyon, où les tensions s’exacerbent.
Une « cocotte-minute », dont la pression va chaque jour crescendo. Qu’ils soient policiers aux frontières ou employés de l’association Forum réfugiés-Cosi, chargée de l’accès au droit, tous partagent ce constat au sujet du centre de rétention administrative (CRA) de Lyon-Saint-Exupéry, où ils travaillent. C’est également cette image d’un lieu au bord de l’explosion que retient l’eurodéputée socialiste Sylvie Guillaume, à l’issue de sa visite du 25 avril, que Libération a suivie. Sa dernière venue remonte à 2013 : « Les conditions se sont aggravées, note l’élue. J’avais déjà vu un bâtiment dégradé, mais pas une tension aussi forte. »
Dans la majorité des territoires de France métropolitaine où les flux migratoires sont importants, on compte au moins deux CRA par région. Celui de Lyon, de 104 places, est le seul d’Auvergne-Rhône-Alpes. Son taux de refus actuel (65 % des retenus qui lui sont adressés, selon la police aux frontières, la PAF) traduit une saturation devenue quotidienne. (...)
Double enceinte, grillages surélevés, bas volets, barbelés : les réaménagements n’ont pourtant pas suffi à en faire un « lieu de privation de liberté » adapté. « Nous subissons tous le bâtiment », souligne le commandant de la PAF, Jocelyn Pillot, en faisant visiter l’une des 26 chambres pouvant accueillir jusqu’à quatre personnes, « quand la norme est de deux », précise l’officier, à la tête d’une équipe de 134 fonctionnaires.
Conçues sans aération, les salles de bain attenantes n’en finissent pas de moisir. « On fait refaire régulièrement les peintures, les rési (...)
Certains murs n’ont pas résisté à la détermination des retenus à s’échapper. La PAF a répliqué en multipliant les dispositifs antiaériens et les caméras de surveillance. Mi-mars, les retenus ont lancé une nouvelle grève de la faim pour dénoncer leurs conditions de vie. Le 13 avril, six personnes se sont évadées, trois ont été rattrapées. Deux jours plus tard, un homme a été retrouvé pendu aux barbelés. Blessé, il a été transféré à l’hôpital.
« Effet bouchon »
Ces épisodes ont nourri le maelström de tensions qui couvent au CRA. Dans les « zones de vie », les portes restent ouvertes nuit et jour, et les retenus peuvent changer de chambre quand ils le veulent. Mais depuis 2015, une « sectorisation » a été établie pour limiter les « bagarres interethniques », explique la capitaine Karine Gourdain. L’aile nord regroupe désormais les ressortissants d’Europe de l’Est, l’aile ouest ceux du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. (...)
Selon ses chiffres, au CRA de Lyon, si le nombre de retenus a augmenté de plus de 7 % entre 2017 et 2018, celui des éloignements a diminué de près de 9 %. D’autant que l’allongement à 90 jours (contre 45 avant) de la durée maximale de rétention des étrangers, adopté en 2018 dans le cadre de la loi asile et immigration, a renforcé l’engorgement du circuit.
« Quand on place plus de personnes en les gardant plus longtemps, ça crée un effet bouchon », constate Assane Ndaw. Et la réduction du turnover a des conséquences sur les capacités de rétention. (...)
Des travaux sont prévus pour pousser la capacité d’accueil du CRA à 140 places en septembre. Pas sûr que cela rende le quotidien des retenus ni celui des policiers et des intervenants plus vivable. « La rétention administrative, c’est une niche de la police, estime Jocelyn Pillot. Pendant des années, personne ne s’y intéressait et là, on s’est retrouvés sous les feux de la rampe. » A des kilomètres de Lyon, au Parlement européen, l’enlisement des débats sur la refonte de la directive retour (lire ci-contre) est pourtant loin d’avoir fait la lumière, au sein d’une Assemblée divisée, sur l’enjeu brûlant d’une politique migratoire commune.