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Associations et universitaires dénoncent la mise en place des Social Impact Bonds
Article mis en ligne le 26 février 2016

Dans une déclaration commune (lire ci-après), des organisations et des chercheurs appellent à refuser les social impact bonds (SIB) et à instaurer de nouvelles formes de relations entre associations et autorités publiques.

En effet, le gouvernement s’apprête à introduire en France les « investissements à impact social », avec, pour fer de lance, la création de « Social Impact Bonds » [proposés par le rapport au gouvernement d’Hugues Sibille, vice-président du crédit coopératif, en septembre 2014].

Les signataires dénoncent la destruction de l’essentiel du travail social par la mise en concurrence et l’instrumentalisation du travail social, la définition de l’intérêt général par le secteur financier, la mise au pillage de la collectivité publique au bénéfice du privé lucratif.

Ils appellent à de nouvelles formes de relations entre associations et autorités publiques, reposant sur une co-construction réelle, l’indépendance des structures et le respect des métiers.

Quand le social finance les banques et les multinationales

Le gouvernement s’apprête à introduire en France les « investissements à impact social », avec, pour fer de lance, la création de « Social Impact Bonds » (SIB) pour lesquels il ne reste plus qu’à trouver une appellation « à la française ». Depuis la remise du rapport d’Hugues Sibille au gouvernement en septembre 2014, le lobbying en faveur des SIB n’a jamais cessé.

Le 4 février 2016, le Monde publiait un article faisant la promotion des SIB, sous le titre « Quand les investisseurs privés financent l’action sociale », signé par Benjamin Le Pendeven, Yoann Lucas et Baptiste Gachet, qui sont aussi les auteurs du document Social Impact Bonds : un nouvel outil pour le financement de l’innovation sociale financé et diffusé par l’Institut de l’entreprise . Depuis, une partie de la presse a suivi : Les Echos, La Croix, Libération et l’Humanité…

Ces articles comportent nombre d’approximations sur le fonctionnement de ces produits financiers et en cachent les méandres qui permettent aux organismes financiers, aux consultants et aux cabinets d’audit de dégager des marges considérables.

Trois arguments sont mis en avant pour promouvoir les SIB :

dans une période de pénurie d’argent public, faire appel au privé est une solution innovante ;
la puissance publique ne prend aucun risque car les investisseurs ne sont payés que si les objectifs sont atteints ;
à terme, le contribuable fait des économies.

Tous sont fallacieux.

Le premier argument est vieux comme le capitalisme. En réalité, la meilleure participation « innovante » du privé serait que les grands groupes multinationaux bancaires ou industriels payent les impôts dans les pays où ils réalisent leurs profits et que l’optimisation et l’évasion fiscales ne soient plus possibles (il n’y aurait alors plus de déficit budgétaire dans aucun pays de l’UE). Le second est également faux : le vrai risque est toujours assumé par la puissance publique, qui paye en dernier ressort, soit en rémunérant dans des conditions exorbitantes les financeurs, soit en reprenant le programme à son compte en cas d’échec . Pour le troisième, la supériorité du privé sur le public, aussi bien en termes d’efficacité que d’efficience, n’a jamais été démontrée. L’expérience des partenariats publics privés (PPP) prouve le contraire, comme le souligne le rapport de la commission des lois du Sénat.

En clair, une autorité publique (souvent conseillée par les financeurs) qui souhaite engager une action dans un domaine social (insertion, récidive, décrochage scolaire, parentalité etc.), mais a des difficultés financières ou souhaite rompre avec le subventionnement des associations, s’adresse à un « organisme financier intermédiaire » (une banque qui, bien entendu, se rémunère). Cet intermédiaire récolte des fonds auprès d’investisseurs (banques, fondations d’entreprises, épargnants…) qui souhaitent s’impliquer dans le domaine social, tout en effectuant un investissement rentable.
L’autorité publique fixe (en principe) des objectifs à atteindre. L’intermédiaire sélectionne ensuite un « opérateur » qui peut être une association, mais aussi une entreprise privée (qui se rémunèrera aussi) lequel sera chargé de la mise en œuvre.
Un cabinet d’audit « indépendant » (également rémunéré) sera chargé de l’évaluation. Alors qu’il est très délicat d’évaluer des résultats dans le domaine social, dans certaines expériences en cours à l’étranger, il a été fait appel à un évaluateur de l’évaluateur et même un évaluateur de l’évaluateur de l’évaluateur (un nouveau marché pour les cabinets spécialisés). Bien entendu les thuriféraires français des SIB et le gouvernement nous promettent de faire mieux, puisque ce sera « à la française ».
Au final, selon les résultats obtenus, les investisseurs vont recevoir, un retour sur investissement payé par l’autorité publique (donc par l’impôt des citoyens) à deux chiffres (jusqu’à 13 % voire, 15 % par an, selon les contrats).

Dans le système antérieur, une toute autre relation liait les associations (par définition non-lucratives) et les pouvoirs publics. Bons experts du terrain et du territoire, elles pouvaient conduire leur travail social, avec le plus souvent des professionnels, de façon relativement autonome, dans un climat de confiance et de coopération démocratique. Ce modèle est désormais déclaré caduc. A la mission de service public rémunérée par une subvention assortie de certaines contreparties se substitue aujourd’hui un modèle prestataire, régulé par la concurrence, au service de collectivités publiques se considérant elles mêmes comme des entreprises.

Les SIB sont bien une nouvelle forme de partenariats public-privé (PPP), tristement connus dans le domaine du BTP, dont les conséquences désastreuses ont déjà été soulignées à maintes reprises, y compris par la Commission des lois du Sénat qui parle de « bombes à retardement » pour les finances publiques . (...)

L’ensemble du dispositif repose en réalité sur un socle purement idéologique : le privé serait, par principe, plus efficace et moins cher que le public. Un postulat qui n’a jamais été démontré mais qui rapporte ! (...)

Au-delà de l’escroquerie financière, les « investissements à impact social » posent des problèmes graves, qui remettent en question les missions de l’Etat, la nature du travail social et le rôle des associations.

La mise en place des SIB pose en effet la question de la définition de l’intérêt général : si désormais c’est le secteur financier qui décide de soutenir une action sociale plutôt qu’une autre (tout en puisant dans les fonds publics, c’est à dire dans la poche du citoyen), selon la seule règle de la maximisation du profit et la minimisation des risques, à quoi servent encore les élus et toute la vie démocratique à laquelle contribuent les différents organes de la société civile ?

Si les investisseurs déterminent à la fois les actions à financer, les indicateurs de performance et les objectifs (chiffrés) à atteindre, quid de la doctrine même du travail social ? (...)

Les SIB sont présentés comme un outil innovant pour financer l’action sociale. En fait il s’agit juste d’accommoder une vielle recette qui consiste à faire payer la collectivité publique au bénéfice du privé lucratif, à s’accaparer des financements publics et à instrumentaliser le travail social. (...)

Non seulement il faut refuser de s’engager dans la voie des SIB, mais les rescrits fiscaux opaques, les optimisations et évasions fiscales doivent cesser. L’avenir n’est pas dans la financiarisation du social mais dans l’instauration de nouvelles formes de relations entre associations et autorités publiques, reposant sur une co-construction réelle, l’indépendance des structures et le respect des métiers.