
Sur les rives de la Loire, le grand port maritime de Nantes-Saint-Nazaire veut bétonner 110 hectares de zone naturelle pour installer un parc dédié aux énergies marines. Un recours juridique, préparé par deux associations, a été déposé le 18 février. (...)
En ce sud de l’estuaire de la Loire, vivent des campagnols amphibies, des grenouilles agiles et des salamandres tachetées. Le pic épeiche, au plumage bigarré, s’y reproduit. Et la pipistrelle, une petite espèce de chauve-souris, y trouve refuge. C’est un paysage fluvial et plat, couvert de lande et de roseaux, et un couloir migratoire pour les espèces voyageuses. Au beau milieu de cet écosystème, passe une route conduisant à une éolienne géante, prototype de mât marin développé par Alstom, le premier testé en France. De l’autre côté de la Loire, fument les cheminées du site pétrochimique de Donges et de l’usine Yara de pesticides.
C’est là, sur le site du Carnet (Loire-Atlantique), que depuis le 31 août s’est installée une ZAD. Ses habitant·e·s y ont construit des cabanes et des barricades pour empêcher la construction d’une dalle de béton de 110 hectares : un parc éco-technologique, dédié aux énergies marines, voulu par le grand port maritime de Nantes-Saint-Nazaire, propriétaire des lieux. Ces personnes sont aujourd’hui visées par un avis d’expulsion et une ordonnance d’évacuation, remise le 16 février par un huissier accompagné d’une quarantaine de gendarmes mobiles, selon le site de la ZAD du Carnet.
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Deux associations, Notre affaire à tous et le Mouvement national de lutte pour l’environnement (MLNE), ainsi que des riverain·e·s, déposent un recours jeudi 18 février contre le dossier d’aménagement. Il vise l’absence de déclaration de projet – un document juridique obligatoire – et l’autorisation de dérogation au titre des espèces protégées, lacunaire selon elles. (...)
En octobre, le conseil scientifique régional du patrimoine naturel, une instance réunissant des spécialistes et des chercheurs, a rendu un avis défavorable au projet – contredisant un premier avis positif en 2017 concernant la dérogation à la protection des espèces. Les données datent d’il y a dix ans et doivent être actualisées, expliquent les experts, qui réclament aussi beaucoup plus de précisions : quels sont les objectifs de gestion du site naturel ? Sur quelles zones exactement ? Où sont les cartes ? « Le plan de gestion devrait aussi traiter les impacts potentiels des aménagements industriels et leur atténuation aux abords d’un site géré pour la conservation du patrimoine naturel », ajoutent-ils.
L’avis de cette instance, très respectée par les scientifiques et les naturalistes mais purement consultative, est si sévère que quelques jours plus tard, le port annonce un moratoire sur l’artificialisation du Carnet. Il s’engage à actualiser les données sur les espèces vivant sur le site convoité, travail « qui devrait durer plus d’une année afin de couvrir un cycle naturel complet ». Par ailleurs, « le contexte sanitaire actuel a reporté sine die les projets d’investissement des entreprises qui auraient pu s’inscrire sur ce territoire ».
Mais pour Gabriella Marie, porte-parole du collectif Stop Carnet, c’est « une vaste tartufferie. Si la ZAD est évacuée, rien ne les empêchera de faire la première phase d’aménagement car plusieurs dérogations ont déjà été obtenues. Il y a un vrai risque de laminer la zone humide. C’est un scandale hallucinant. La Loire est à l’agonie. C’est un crime écocidaire. »
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Au-delà de l’enjeu – majeur – du sauvetage de la Loire, l’affaire du Carnet est un concentré des contradictions de la présidence d’Emmanuel Macron, malgré les déclarations d’intention autour de la loi climat et résilience (lire ici). En janvier 2020, lors du sommet « Choose France », l’exécutif a annoncé que 12 sites étaient disponibles « clés en main », purgés de leurs obligations de conformité au droit de l’environnement, pour que des industriels s’y installent sans avoir à attendre.
Le site du Carnet est l’un de ces 12 premiers sites promus par le gouvernement français. (...)
Joint par Mediapart, l’établissement portuaire « ne veut faire aucun commentaire ». Et ne répond pas à la question des riverain·e·s et des associations concernant la déclaration de projet. De leur côté, les occupant·e·s de la ZAD redoutent une expulsion brutale, comme à Notre-Dame-des-Landes en 2018, et appellent celles et ceux qui le peuvent à les rejoindre.