
Pour lutter contre le changement climatique, Air France finance un projet de lutte contre la déforestation à Madagascar, mis en œuvre par le WWF et GoodPlanet. Vu du ciel, ce projet contribue à conserver la biodiversité, à stocker du CO2, tout en aidant au « développement humain ». Mais pour les villageois concernés, la réalité est toute autre : ils n’ont plus accès aux terres qu’ils cultivaient et attendent de véritables compensations. Si Air France prétend faire du ciel « le plus bel endroit de la terre », il n’en est pas de même au sol. Enquête à Madagascar.
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Sur la piste qui mène de Fort Dauphin à la nouvelle aire protégée d’Ifotaka, au sud-est de l’île, les traces de la colonisation française sont encore là. D’immenses monocultures de sisal, plantes à fibres servant à fabriquer du cordage, s’étendent sur des dizaines de kilomètres. Elles laissent soudainement place à des forêts épineuses adaptées à un climat sec. Entre les innombrables cactus et aloès, s’élèvent des fantiolotse, une espèce de bois que l’on trouve uniquement dans cette région. C’est de ses feuilles que se nourrissent les lémuriens, ces animaux qui contribuent à la célébrité de « l’île rouge ». Madagascar n’a pas été choisie au hasard par Air France pour reverdir son image : 80 % de la faune et 90 % de la flore ne se rencontrent nulle part ailleurs dans le monde. (...)
Désormais, la pratique traditionnelle qui consiste à brûler la végétation pour cultiver (le « hatsaky »), est interdite partout dans l’aire protégée. Cette pratique agricole traditionnelle est en effet considérée par le WWF comme l’un des principaux moteurs de la déforestation. Quant aux autres activités dont dépendent les villageois – pâturage des zébus, coupe de bois, collecte de bois de chauffe, de plantes médicinales et de miel –, elles sont désormais encadrées par le « COBA », l’association locale en charge de la gestion de la forêt. (...)
Jeune agriculteur, Mahasambatse a déjà vu plusieurs fois « l’avion du WWF » au-dessus de sa maison. Dans les jours qui suivent le survol, il est généralement convoqué à la mairie avec d’autres villageois. Les photos des nouveaux défrichements leur sont montrées. « L’agent du WWF est présent et nous dit qu’il nous faut protéger la forêt. On fait tous mine d’acquiescer car l’on sait bien que l’on n’a pas le droit de défricher. Mais on le fait quand même car il n’y a pas suffisamment de terres pour nourrir nos familles. » Comme d’autres, Mahasambatse a vu ses terres cultivables incluses dans l’aire protégée. Il s’est rabattu sur la culture de quelques parcelles le long de la rivière, mais les inondations sont fréquentes. « Quand l’eau monte, on perd toutes nos cultures. Alors on se rend en haut de la forêt pour défricher et avoir un peu de terrain à cultiver. »
Compenser les pollutions d’autrui ou se nourrir ? (...)
Pour y remédier, le WWF déclare développer une agriculture de conservation : des « techniques agricoles adaptées, rentables et durables tout en gérant les ressources naturelles de manière efficace ». Selon le maire d’un village, des formations ont bien été mises en place, mais sans suivi sur le long terme. « Il y avait plusieurs projets de cultures maraîchères et d’apiculture dans notre commune mais le WWF a fait des formations de seulement deux mois, parfois deux jours. Cela ne suffit pas pour pérenniser l’activité. » L’ONG a bien créé une pépinière dans la commune concernée, mais sa taille très réduite témoigne du caractère insuffisant de ces compensations. (...)
Interrogée à ce sujet, la fondation GoodPlanet regrette que nous n’ayons pas visité leurs réalisations « dans un contexte moins difficile [celui des forêts humides] », où la déforestation serait bien mieux enrayée. Basta ! se serait volontiers rendu sur place, mais les promoteurs du projet ont refusé de nous ouvrir leurs portes pour notre reportage. (...)