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« Avec la réforme des retraites, les égoutiers vont crever au boulot »
Article mis en ligne le 22 mars 2022

la réforme des retraites, si elle était adoptée, obligerait les égoutiers à travailler beaucoup plus longtemps, alors qu’ils meurent plus tôt que la moyenne des travailleurs français.

Aujourd’hui, les égoutiers relèvent d’une catégorie dite « insalubre ». Concrètement, « après dix ans de carrière dans les égouts, ce statut nous permet de partir à la retraite cinq ans plus tôt, explique Nicolas Joseph. Et après 22 ans sous terre, c’est même le double. »
« On a signé en sachant que nos conditions de travail seraient très dures mais que nous pourrions partir tôt à la retraite »

Or, la catégorie « insalubre » est, en l’état actuel des négociations, balayée du projet de loi et les égoutiers pourraient, au mieux, bénéficier d’une retraite anticipée de deux ans. « Nous avions tous signé en sachant que nos conditions de travail seraient très dures mais que nous pourrions partir tôt à la retraite, dit Nicolas Joseph. C’était le deal qui rendait acceptable notre rentrée dans les égouts. »

Jean-Pierre se sent « carrément floué ». « Je n’aurais jamais pataugé dans la merde sans la promesse de l’insalubrité ! » assure-t-il. « D’ici deux ans, je devais gagner mon premier échelon d’insalubrité et cinq années de retraite anticipée », raconte l’égoutier. La rançon de « dix ans de loyaux services ». Mais « avec leurs conneries, nous nous faisons avoir et nous sommes bons pour passer nos retraites six pieds sous terre... » (...)

« Dans la merde », « dans le noir » et « le dos plié en deux », ils sont 285 à entretenir les 2.600 kilomètres d’égouts de la ville de Paris.

« Nous travaillons là où toutes les eaux usées se déversent de vos toilettes, de vos douches, de vos machines à laver, des toits et des chaussées, raconte Marina, égoutière depuis huit ans. Nous marchons littéralement dans la merde, au milieu des rats et des cafards. » (...)

« En bas, vous retrouvez toutes les rues de la surface, avec des plaques et des numéros, mais tout est différent. » Le danger « peut venir de partout, nous pouvons chuter et nous noyer. Nous respirons aussi des produits chimiques, comme ceux balancés par des photographes ou des pressing. Parfois, des poches de gaz explosent près de nos pieds. » (...)

Depuis une dizaine d’années, les agents savent aussi qu’ils sont exposés à de l’amiante. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, afin d’empêcher la rouille, les canalisations étaient en effet badigeonnées avec une peinture contenant le produit cancérigène. Les égoutiers sont désormais équipés de masques respiratoires, mais ceux-ci « ne sont pas adaptés aux milieux confinés, nous gênent dans nos postures de travail et nous empêchent de communiquer, alors que la communication est essentielle en égouts », déplore Nicolas Joseph. En conséquence, de nombreux égoutiers ne portent pas leur masque. (...)

Le jeudi 6 février, devant le camion de la CGT Filière traitement des déchets (FTDNEEA), aux abords de la place de la République, le moral des égoutiers est au beau fixe. Maître Frayssinhes, avocat au barreau de Paris, tient à leur prêter main-forte et porte un coin de leur banderole. « Ces gens là risquent leur vie et travaillent dans de mauvaises conditions pour nous rendre un service absolument inestimable : sans eux, nous croulerions sous les déchets, dit Maître Frayssinhes. Ils partent déjà cassés en retraite, nous ne pouvons pas les laisser se tuer au travail. C’est pourtant le sort déplorable que leur réserve le gouvernement. » (...)

« On partage l’amour du service public au même titre que les personnels soignants ou les enseignants » (...)

« Nous sommes invisibles mais, si nous n’étions pas sous vos pieds, ce serait le bordel pour tout le monde, pense Marina. Il y aurait plein de fuites et les habitants paieraient d’énormes factures d’eau. Les évacuations de toilettes seraient tellement bouchées que les déjections remonteraient chez les gens, des cochonneries se déverseraient dans la Seine. »

Nicolas Joseph voit également les égoutiers comme « les premiers écologistes dans la chaîne du traitement des eaux usées » : « Nous traitons deux millions et demi de mètres cubes d’eau, chaque jour, à Paris, que nous collectons et transportons dans les stations d’épuration » et « nous protégeons le réseau contre les crues de la Seine », avance-t-il.

Dans ces tâches, avec les vagues de privatisations, les égoutiers ne sont plus seuls. « Au début des années 2000, nous étions près de 600 égoutiers, soit le double d’aujourd’hui », se remémore Nicolas Joseph. Entre temps, la Mairie de Paris a décidé de déléguer une partie du nettoiement et de la maintenance des réseaux à des entreprises comme Veolia ou Suez. « Nous les côtoyons dans les égouts, ils respirent les mêmes odeurs, ils remplissent les mêmes missions, mais ils n’ont pas les mêmes droits que nous, regrette l’élu CGT. Ils sont sans statut, mal équipés, n’ont pas de retraites anticipées. Ce qui est triste c’est qu’il y a dix ans nous luttions pour qu’ils aient les mêmes droits que nous, et que maintenant nous devons nous battre pour conserver les nôtres. » (...)

« Ce gouvernement veut nous casser 80 ans d’acquis sociaux, réduire à néant des milliers de jours de grève, trahir la mémoire de millions de gens qui se sont serrés la ceinture à travers l’histoire. Nous ne les laisserons pas passer, nous ne nous déculotterons pas », assure Julien Lejeune, agent de maîtrise en travaux publics à la section de l’assainissement de Paris (Sap) depuis 10 ans. Et si les égoutiers se mettaient en grève totale et ne remplissaient plus leurs missions, option qu’ils ne souhaitent pas explorer « pour le moment », il s’accordent tous à dire que « ce serait le chaos ». Des profondeurs de la capitale, jusqu’à la surface. (...)