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« Avec la réforme, les retraites de demain ne seront pas suffisantes pour maintenir son niveau de vie »
Entretien avec l’économiste Michaël Zemmour.
Article mis en ligne le 17 octobre 2019

La réforme des retraites voulu par Emmanuel Macron fait basculer le système par répartition vers un système individualisé, à points. Chacun vivra dans l’illusion qu’il reste maître du niveau de sa future pension, mais exercer un métier pénible ou précaire, connaître des périodes de chômage, se retrouver en invalidité sont autant de facteur qui feront baisser les points accumulés.

 : Cette réforme veut limiter les dépenses de retraite, c’est-à-dire concrètement faire baisser les pensions des retraités par rapport au niveau de vie des actifs. C’est une trajectoire qui est déjà en partie programmée par les réformes précédentes. La nouveauté de la réforme, avec l’introduction d’un système à points, c’est de rendre cette trajectoire automatique, et moins facilement réversible. Son principe est de définir un taux de cotisation fixe, qui ne bougera pas. C’est donc le niveau des pensions qui s’ajustera, de manière à ce que ce taux de cotisations permette de les payer.

Le rapport de Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux retraites [2] propose un taux de cotisation limité à 28% du salaire brut. C’est à peu près le taux actuel, mais comme on sait que la durée de vie va s’allonger, bloquer ce taux va avoir pour conséquence de faire baisser les pensions. L’idée principale du système à points, c’est qu’on gèle le niveau des ressources, et comme les retraites vont durer plus longtemps, puisque la durée de vie s’allonge, les pensions vont baisser. On pousse ainsi les gens à partir plus tard, et avec une pension plus faible. (...)

Depuis plusieurs réformes, les gouvernements veulent bloquer les taux de cotisation, mais très régulièrement on finit par les augmenter quand même un peu. Par exemple, cette année, même si c’est très marginal, les partenaires sociaux ont augmenté les taux de cotisation pour les retraites complémentaires, qu’ils gèrent, pour éviter justement que les pensions baissent. Sur les quinze-vingt dernières années, il y a eu des réformes qui ont eu pour but de faire baisser les pensions, mais il y a quand même eu des relèvement de taux de cotisation.

La grande question qui est devant nous est celle du niveau de pension, ainsi que celle de l’âge de départ en retraite. Là où le débat est biaisé aujourd’hui, c’est que le gouvernement dit : « Nous sommes prêts à discuter de tout, mais avec les mêmes moyens. » Autrement dit l’alternative ne se joue qu’entre perdre plus de pension, ou partir plus tard. L’option qu’une partie de l’effort puisse passer par des cotisations supplémentaires est complètement évacuée. C’est cela la principale rupture de cette réforme.

Ce que cela dessine, d’ici une vingtaine ou une trentaine d’années, ce sont des retraites qui n’auront plus le même rôle qu’aujourd’hui. Les pensions retraites existeront toujours – il est inexact de dire qu’on n’aura plus de retraites. Mais ces retraites qui ne seront pas suffisantes pour maintenir son niveau de vie. Elles ne constitueront qu’un premier étage. Celles et ceux qui n’auront que cela seront vraiment appauvris. D’autres, qui seront plus aisés, iront compléter par de la capitalisation. (...)

Le système de décote/surcote est aussi profondément inégalitaire, car le fait de pourvoir travailler plus longtemps dépend du métier exercé... (...)

C’est une sorte de double peine. D’abord vous avez travaillé moins longtemps donc vous avez moins de points, par exemple si vous avez une carrière à trous. En plus, si vous partez à 62 ans, vos points valent moins cher.

Au cœur de ce principe, il y a une philosophie basée sur l’incitation : les dispositifs sont là pour inciter les gens à avoir des comportements considérés comme vertueux. Ce principe ignore la plupart des gens ne sont pas maîtres de leurs décisions de travailler ou pas. Ces décisions ne sont pas prises dans un contexte de pure liberté ! (...)

Donc, si on vous pénalise pour une décision que vous n’avez pas prise, ou si vous êtes déjà en mauvaise santé et que vous ne pouvez pas continuer à travailler, c’est un faux choix, et une vraie pénalisation.

Vous pointez le fait qu’il est faux que les gens travaillent dans l’ensemble plus longtemps. Les gens prennent leur retraite plus tard, mais selon vous c’est plutôt le temps entre la fin du travail et le début de la retraite qui augmenterait.

Il y a des personnes qui travaillent plus longtemps, à peu près deux ans de plus par rapport à il y a dix ans. C’est le fait des réformes précédentes, et aussi de la chasse aux pré-retraites. Dans le même temps, plus de la moitié des salariés français ne travaillent pas jusqu’à la retraite. Lorsqu’ils liquident leur retraite, aux alentours de 63 ans, ils ne sont déjà plus en emploi depuis un, deux ou trois ans. (...)

C’est une illusion de poser les débats comme si, en décidant d’un âge de départ à la retraite, on résolvait le problème de l’emploi des seniors. Ce problème est toujours là, à la fois parce que les entreprises ne sont pas très demandeuses de garder les seniors très longtemps, que les conditions de santé dans un grand nombre d’emplois ne permettent pas de travailler plus longtemps, et aussi parce que les personnes ne souhaitent pas travailler plus longtemps. C’est en lien avec les conditions de travail. Il y a un fossé qui se creuse entre le moment où l’on s’arrête – la moitié des gens s’arrêtent aujourd’hui avant 60 ans –, l’âge légal (62 ans actuellement), et l’âge moyen auquel on touche enfin sa retraite, qui est plutôt de 63 ans pour l’instant. (...)

Le gouvernement a en fait déjà décidé qu’on ne mettrait pas un centime de plus pour les retraites et que, donc, leur niveau va baisser. Ce sera à nous de décider de prendre notre retraite plus tard, parce que nous toucherons beaucoup moins. (...)

Nous n’avons pas accès aux données ni au résultats des études. C’est particulièrement archaïque, d’autant plus que le gouvernement communique sur des détails très techniques et qu’il veut absolument parler de cela. Il ne communique pas les simulations sur lesquelles il s’appuie. Le gouvernement assure que notre système sera meilleur que l’ancien, mais nous n’avons pas accès aux données pour le savoir ! Ce qui est clair, c’est qu’on va donner aux cadres supérieurs, aux salariés les plus riches, un bon de sortie du système. Ils pourront sortir du système de base pour la partie de leur salaire qui dépasse 10 000 euros par mois.

Les petites retraites, nous dit-on, seraient de l’autre côté un peu revalorisées. L’éventail des retraites distribuées, sans les plus riches, paraîtra donc plus égalitaire. Mais c’est une loupe déformante. Car les personnes qui en ont les moyens et qui vont voir les retraites de base baisser vont les compléter par la capitalisation. Et la capitalisation accroît nettement les inégalités. Les comparaisons internationales le montrent. (...)

Le système actuel de retraites est-il encore viable ?

Le système actuel a un petit déficit, de l’ordre de 10 milliards d’euros, sur 300 milliards. Il est donc somme toute équilibré. Il n’est pas du tout question d’un système qui serait à découvert et dont il faudrait éponger les dettes. Le problème, c’est que depuis des années, pour l’équilibrer, on fait baisser les pensions. C’est un choix implicite qui a été fait. La logique de cette nouvelle réforme qui vient, c’est de dire « Dorénavant, on va toujours faire comme ça ». Si on remet en cause la baisse des pensions, alors il faut discuter de sources de financement supplémentaires.

Élargir l’assiette des cotisations serait une alternative ?

On peut tout imaginer. Cela dépend d’abord des contextes politiques. (...)

toutes choses égales par ailleurs, il suffirait d’augmenter les cotisations de seulement 0,2 point par an pour maintenir les taux de remplacement, le montant de la retraite par rapport au dernier salaire, à leur niveau actuel. En moyenne cela ne se traduirait pas par des baisses de salaires pour les actifs, mais des augmentations légèrement moins rapides.

Une autre question dont on parle peu dans cette réforme, est celle de la prise en compte de la pénibilité…

Plusieurs dispositifs de prise en compte de la pénibilité ont été mis en place dans les années 2000 puis ont été dégradés. Aujourd’hui, ce n’est pas mis en avant. Et comme on présente chacun comme le gestionnaire de son compte de points, on ne rend pas compte du fait qu’il y a des métiers qui ont des effets tels sur la santé qu’on ne peut pas les exercer indéfiniment. C’est quelque chose qui doit se penser pour la retraite, mais aussi se penser au travail, il faut mener de front les deux. (...)

S’il y avait quelque chose à faire pour s’inspirer des régimes spéciaux, ce serait effectivement de reconnaître qu’il y a des professions qui, en tant que telles, méritent un traitement spécifique.