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France TV Info
Biélorussie : exilés, les opposants au président Loukachenko "terrifiés" depuis l’arrestation de Roman Protassevitch
Article mis en ligne le 29 mai 2021

Les exilés biélorusses se savaient déjà constamment surveillés. Ils avaient peur pour leur sécurité, mais ce sentiment s’est renforcé et depuis l’arrestation de Roman Protassevitch, dimanche 23 mai, ils craignent pour leurs vies. Selon eux, le détournement du vol Ryanair reliant Athènes à Vilnius pour arrêter ce journaliste de 26 ans constitue un tournant dans la stratégie du président Alexandre Loukachenko à l’encontre de ses opposants. "Le message est clair : ’Quel que soit l’endroit où vous vous trouvez, nous vous combattrons’. Loukachenko veut montrer que quiconque soutient les manifestations et l’opposition n’est pas en sécurité. Qu’il soit activiste, journaliste ou défenseur des droits humains", analyse Oleg Kozlovsky, chercheur pour l’Europe de l’Est et l’Asie centrale pour Amnesty International.
"Une génération de jeunes journalistes très ciblée"

Jointe par téléphone, la journaliste Bella Fox, réfugiée à Vilnius (Lituanie) depuis novembre dernier, ne cache pas sa nervosité : "Jusqu’ici, je me sentais plutôt en sécurité. Mais maintenant, je me dis qu’à tout moment la police peut venir me chercher, des représentants du gouvernement ont fait des menaces explicites à l’encontre des opposants. C’est terrifiant." La jeune femme est d’autant plus traumatisée qu’elle a été kidnappée en octobre par le KGB − les services secrets biélorusses − puis retenue en prison pendant dix jours avant d’être relâchée. Elle travaillait alors pour le Press Club Belarus, une plateforme pour le développement des médias et les journalistes indépendants biélorusses. "Quand je suis rentrée, la police est venue sonner chez moi et chez mes voisins, en demandant s’ils m’avaient vue récemment. J’ai ensuite reçu un courrier me demandant de me rendre au tribunal le plus proche de chez moi, à Minsk. J’ai compris que j’allais être arrêtée de nouveau", raconte-t-elle à franceinfo. Ses collègues lui ont alors conseillé de quitter le pays, ce qu’elle a fait le 5 novembre. Quelques jours après, ses confrères ont tous été arrêtés. "Ils sont en prison depuis sept mois et attendent leur procès. Ils risquent jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Je suis soulagée d’être partie à temps", confie-t-elle, la voix tremblante.

Comme Bella Fox, de nombreux opposants ont trouvé refuge dans les pays voisins.

Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), fait part de son inquiétude. "Il y a toute une génération de jeunes journalistes très ciblée par le gouvernement, avec une amplification de la répression ces derniers jours. Plus de vingt journalistes sont actuellement en détention en Biélorussie". (...)

L’ONG a porté plainte en Lituanie contre le président biélorusse pour "détournement à des fins terroristes".

"Ce dictateur n’a pas de limites"

Si l’anxiété est palpable, les opposants interrogés par franceinfo ne sont pas surpris par la spectaculaire opération du gouvernement de Loukachenko. (...)

"Ce dictateur n’a pas de limites. Il est totalement imprévisible. Je n’aurais pas été surpris s’il avait ordonné d’abattre l’avion en cas de refus des pilotes de procéder à l’atterrissage."

"Une nouvelle ère de répression qui va traverser les frontières"

Pendant longtemps, la stratégie du président autocrate a été de contraindre ses opposants à l’exil forcé en les poussant littéralement hors du pays. La police a pour habitude de les enfermer dans des voitures puis de les conduire à la frontière, en les obligeant à la traverser, sous peine d’être emprisonnés. En septembre dernier, Maria Kolesnikova, l’une des figures de la contestation, a ainsi été arrêtée en pleine rue par des hommes masqués puis emmenée de force à la frontière avec l’Ukraine. Elle a réussi à s’extirper de la voiture dans laquelle elle était retenue et a déchiré son passeport pour ne pas être expulsée. Depuis, elle est inculpée pour "conspiration visant à prendre le pouvoir par des moyens anticonstitutionnels" et "création et gestion d’une formation extrémiste", selon Le Monde, et risque jusqu’à douze ans de prison.

Mais désormais, le gouvernement biélorusse semble avoir changé son fusil d’épaule. "Les autorités ont compris qu’elles devaient arrêter de pousser tout le monde dehors. Elles ont laissé une communauté grandissante s’exiler. Or, même depuis l’étranger, celle-ci continue son travail de collecte et de diffusion des informations et encourage les civils restés en Biélorussie à poursuivre leur lutte pacifique contre le pouvoir", décrypte Oleg Kozlovsky. Selon lui, le gouvernement a compris qu’il allait être très difficile de stopper ces exilés et qu’il devait donc arrêter de mettre les protestataires dehors. "J’ai bien peur que ce soit le début d’une nouvelle ère de répression qui va traverser les frontières", s’inquiète Oleg Kozlovsky.

Des inquiétudes sur la sécurité des opposants (...)

Aleś Zarembiuk assure ainsi être constamment "suivi" dans les différentes villes de Pologne où il se déplace avec ses collègues. "En mars, mon téléphone a été piraté. En avril, ils ont essayé de hacker nos e-mails, l’un de nos collègues a reçu plusieurs milliers de menaces au cours des cinq derniers jours, dont celle-ci : ’Nous allons te tirer dessus à Varsovie’", détaille-t-il. (...)

Pour la journaliste Bella Fox, les opposants les plus ciblés devraient pouvoir bénéficier d’un garde du corps, "au moins le temps que la situation s’apaise". Elle s’inquiète particulièrement pour les équipes de Svetlana Tikhanovskaïa et d’Alexeï Navalny, toutes deux installées à Vilnius. "Le KGB (les services de renseignements biélorusses) et le FSB (son homologue russe) pourraient les kidnapper facilement car ils sont tout proches de la frontière. Techniquement, c’est possible. De facto, ça n’est encore jamais arrivé." Elle souligne que beaucoup d’exilés ont demandé l’asile politique ou s’apprêtent à le faire. (...)

Selon le porte-parole de RSF, il faut que l’Europe réfléchisse à "un grand plan de soutien en incluant la question de leur protection, pour leur permettre de se former et de travailler, à l’abri des pressions extérieures".
"L’Europe doit isoler Loukachenko politiquement"

Jusqu’ici, l’Union européenne s’en est tenue à des sanctions financières. Elle a gelé les avoirs de plus de 50 dirigeants du pays, dont le président Loukachenko, plusieurs ministres et les responsables de la police. Autant de personnes qui sont également interdites de séjour dans l’UE. Il y a également eu des gestes symboliques, comme l’attribution du prix Sakharov 2020 à l’opposition biélorusse.

Selon la cheffe de l’opposition, Svetlana Tikhanovskaia, la communauté internationale doit encore durcir les sanctions contre le régime du président Loukachenko. (...)

Les championnats d’Europe de cyclisme sur piste, normalement prévus du 23 au 27 juin à Minsk, viennent par ailleurs d’être annulés. Avec plusieurs membres de la diaspora, cela faisait deux mois qu’Anna*, une opposante exilée en France qui préfère rester anonyme, mettait la pression sur le ministère des Sports et sur la Fédération de cyclisme pour parvenir à cette décision. Elle juge cette annulation tardive : "Il a fallu en arriver à un détournement d’avion pour que le gouvernement comprenne la gravité de la situation. C’est triste et inquiétant", déplore-t-elle à franceinfo.

Pour celle qui se présente comme une représentante de la communauté biélorusse, il faudrait des sanctions "très dures" et attaquer directement l’économie du pays à sa source, en interdisant toute importation. (...)