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Bourdin face à Danièle Obono : le temps des sommations
Article mis en ligne le 9 septembre 2020

Quelques jours après la publication par Valeurs actuelles d’un article raciste, dépeignant Danièle Obono en esclave nue les chaînes au cou, Jean-Jacques Bourdin reçoit la députée sur RMC/BFM-TV (2/09). Mais alors que s’ouvre le matin même le procès des attentats de janvier 2015, Danièle Obono se retrouve soumise à un interrogatoire en règle.

« Inviter Danièle Obono le jour de l’ouverture du procès des complices présumés des assassins de Charlie Hebdo, de l’Hyper Casher, de la policière Clarissa Jean-Philippe, quelle indignité ! » ai-je lu ce matin sur les réseaux sociaux. Mais pourquoi indigne ? « Parce que Danièle Obono a écrit qu’elle n’a pas pleuré Charlie. »

C’est une délicatesse journalistique promise à un grand avenir : citer un commentaire outrancier, anonyme, posté sur les réseaux sociaux, afin de débuter l’interview d’une matinale rassemblant des millions d’auditeurs.

En quelques mots d’introduction, et avec l’air de ne pas y toucher, Jean-Jacques Bourdin jette d’emblée la suspicion sur son invitée, députée de la France insoumise. L’attaque, formulée au même moment sur France Inter [1], et nuancée quelques heures plus tard par sa rédaction numérique, fait référence à une note de blog rédigée par Danièle Obono, en janvier 2015, quatre jours après les attentats. Un texte qui peut être évidemment soumis à la critique, dont il est possible de discuter, mais ici raccourci pour les besoins du tohu bohu médiatique dont se serait sans doute passé le lancement d’un procès historique.

Le sensationnel l’emportant sur la nuance, Bourdin préfère laisser courir l’opprobre en direct. En lui donnant même de l’élan, puisqu’il s’acharne contre la députée dès le début de l’interview, et ce à trois reprises :

- Danièle Obono, vous n’avez pas pleuré Charlie. Pourquoi ?

- Je vous demande pourquoi ! Je vous demande pourquoi vous l’avez écrit. Pourquoi vous avez écrit ces mots ?

- Qu’est-ce qui vous a empêchée de pleurer Charlie ? Qu’est-ce qui vous a empêchée de pleurer Charlie ? Qu’est-ce que vous ne pleuriez pas ? Qu’est-ce que vous ne pleuriez pas ?

Autant d’interruptions qui ne laissent guère de place à Danièle Obono pour tenter de développer un propos dans le calme. Car la messe est en réalité déjà dite : le ton est à l’invective et les sommations domineront l’interview, bien que l’animateur s’en défende : « Il ne s’agit pas de [vous] justifier, il s’agit d’expliquer, Danièle Obono. » Encore faudrait-il lui en laisser la possibilité…

Des injonctions donc, Danièle Obono en subit tout au long de l’interview. Sautant du coq à l’âne, Jean-Jacques Bourdin n’hésite d’ailleurs pas à s’appuyer sur des attaques émises à l’encontre de la députée insoumise par… Éric Zemmour, sur un plateau de CNews, le 31 août. Attaques dont le contenu fut démenti le lendemain par Libération, mais tout de même reprises par l’animateur de RMC… le surlendemain.

Un classique : même absent, Zemmour est un « débatteur » omniprésent sur les plateaux. (...)

Qualifier les propos de Zemmour, répondre à Zemmour, penser Zemmour.

Voilà comment l’animateur de RMC occupe près d’un quart de son interview matinale, symptomatique du climat médiatique ambiant. Et dire que quelques minutes plus tôt, la députée dénonçait justement la « zemmourisation de la vie politique et médiatique »… À son insu sans doute, Jean-Jacques Bourdin en fournit le mode d’emploi. (...)

Quelque part dans ce marasme, seulement trois questions porteront sur la publication de Valeurs actuelles qui, quelques jours plus tôt, dépeignait la députée en esclave nue, enchaînée et contre laquelle cette dernière a déposé plainte [2]. Le sujet n’arrivera qu’au bout de 12 minutes, et durera, en tout et pour tout, 2 minutes et 25 secondes, soit un dixième de l’interview.

Un « timing » révélateur de « l’inversion de la culpabilité », véritable fil rouge de cette interview à charge… voire règlement de compte, tant elle semble en partie inintelligible pour toute personne qui ne serait pas familière des bisbilles du bocal journalistique. Sale temps pour l’information donc, noyée dans l’invective, les interruptions à la chaîne, les petites phrases, les imprécisions et les obsessions identitaires d’un Bourdin en roue libre, invitant une victime de racisme pour instruire son procès en reprenant les arguments habituels de... ses agresseurs ! Le tout supervisé par Zemmour, dont les propos fallacieux, reconnus comme tels, donnent malgré tout le tempo. (...)