
L’ubérisation touche désormais un public que l’on n’attendait pas : les mineurs. Brahim, un jeune collégien de 15 ans, raconte pour RMC.fr comment il s’est retrouvé coursier pour UberEATS, grâce à un usage détourné de la célèbre application de livraison. Il l’assure : il est loin d’être le seul à le faire. Et dévoile, en creux, tout un système de travail au noir né dans le Val-de-Marne.
(...) "Je prends mon vélo tous les jours en sortant du collège, et je fais les livraisons de 18 heures à 22 heures. Quand je rentre chez moi, il est environ 22h30. Là, je suis fatigué, je prends ma douche, et je me couche." Brahim a les yeux cernés quand, à 8 heures le lendemain, il pointe à son collège du 19e arrondissement de Paris.
Ce sont ses assistants d’éducation qui, les premiers, se sont alarmés de ces virées nocturnes qu’il prolonge le week-end. "Samedi et dimanche, je le fais de 11 heures à 15 heures, et parfois après 23 heures", ajoute cet élève en 3e que ses surveillants décrivent comme un "caïd gentil" ayant "du mal à l’école". Cumulé, cela peut représenter jusqu’à 30 heures de travail par semaine. (...)
Mineur, Brahim n’a bien sûr pas pu s’enregistrer lui-même sur l’application. "Je le fais pour quelqu’un, en fait. C’est un grand du quartier qui m’a proposé. C’est lui qui a créé le compte", explique-t-il. Pour s’activer sur UberEATS, il faut en effet disposer d’un statut d’auto-entrepreneur, de coordonnées bancaires, et par conséquent être âgé de plus de 18 ans.
Brahim, qui n’a eu qu’à télécharger l’application et utiliser les codes d’un autre, préfère rester muet sur l’identité de l’intermédiaire. "Il me paie pour le faire à sa place. L’argent rentre chaque semaine sur son compte en banque à lui. Et il me prend la moitié de l’argent." (...)
Personne, pour l’heure, ne s’est aperçu de la supercherie. Il enfile l’uniforme aux couleurs d’UberEATS comme si de rien était. "[Les clients] ils posent pas la question. Seulement une fois, ils ont dit ’mais c’est pas toi sur la photo de l’appli’. J’ai dit que je le remplaçais juste aujourd’hui. Sinon, après, Uber ils suspendent son compte".
Brahim a été emballé par la practicité de l’appli. Flexible, elle s’adapte à ses imprévus et son emploi du temps de collégien. "C’est pas comme Deliveroo où tu dois planifier le moment où tu travailles avec des shifts horaires. UberEats, c’est une appli où tu appuies juste sur un bouton. Quand tu dois te mettre en ligne, tu te mets en ligne. Et les commandes sonnent."
"Du très classique travail dissimulé"
Ce détournement de l’application alarme très sérieusement l’inspection du travail. "On est sur du très classique travail dissimulé, que l’on appelle aussi du travail au noir. La personne qui délègue son compte se comporte comme un employeur. Elle recourt à quelqu’un d’autre qu’elle ne déclare pas, et qu’elle paie très très mal", décrypte pour RMC un inspecteur du travail, spécialisé dans le travail illégal.
"Ces personnes-là sont répréhensibles au regard de la loi, et c’est d’autant plus grave que cela implique des mineurs. Faire travailler des gamins est particulièrement choquant", explique encore l’inspecteur, qui s’alarme des conséquences de cette activité "particulièrement accidentogène" sur le métabolisme de l’adolescent.
75.000 euros d’amende pour l’emploi dissimulé d’un mineur (...)
cette délégation des applications des plate-formes de livraison constitue un véritable système (...)
les relations contractuelles étant informatiques et déshumanisées, a priori UberEats ne sait pas que l’application est utilisée par un tiers mineur", argue l’inspecteur. (...)