
Toujours, revenir à Orwell. L’écrivain anglais n’a pas seulement livré une œuvre romanesque passionnante. Mais a aussi analysé avec une rare clairvoyance les problèmes politiques de son temps - et du nôtre. Dans De La Décence ordinaire (2008), Bruce Bégout revenait sur la pensée d’Orwell, analysant une part méconnue et très contemporaine de son œuvre. On a voulu en savoir plus.
(...) Il y a deux Orwell, donc. Le premier passé à la postérité historique, le second un brin méconnu. Les deux sont naturellement indissociables : comment comprendre l’Orwell extraordinaire sans connaître son double, homme aux deux pieds solidement planté dans son époque, être assoiffé de simplicité et d’ordinaire ? Tout simplement impossible.
C’est que la majeure partie de l’œuvre de l’écrivain anglais est habitée par une quête de simplicité, de frugalité. Parmi les humbles et les sans-grades, Eric Blair (son nom de naissance) a échafaudé ses réflexions politiques et construit son univers théorique. Question d’affinité - écrivant à Henry Miller, Georges Orwell disait sa préférence pour « une sorte d’attitude terre à terre, solidement ancrée » et expliquait se sentir « mal à l’aise » dès qu’il quittait « ce monde ordinaire où l’herbe est verte et la pierre dure » - mais aussi de conviction : une pensée politique se détachant du quotidien du plus grand nombre se fourvoierait forcément, élitiste et hors-sujet. (...)
Cette part méconnue de Georges Orwell a retenu l’attention de Bruce Bégout. L’auteur de La Découverte du quotidien, de Zéropolis (Allia) et (entre autre) de L’Éblouissement des bords de route (Verticales), en a tiré une étude passionnante. Publié en 2008 aux éditions Allia, De La Décence ordinaire s’articule autour de l’idée de « Common decency » (décence ordinaire, principe théorisé par Orwell) et interroge l’approche politique de l’écrivain anglais, ainsi que ses troublantes résonances contemporaines. Une démonstration limpide sur laquelle il a gentiment et longuement accepté de revenir pour Article11. (...)
ce que j’ai reconnu dans la « common decency » d’Orwell. Non pas tant une moralité innée, naturelle, mais une pratique ordinaire de l’entraide, de la confiance mutuelle, des liens sociaux minimaux mais fondamentaux. Cela ne constitue pas une morale en bonne et due forme, mais assure un sens spontané de ce qui doit se faire ou ne doit pas se faire. C’est là, me semble-t-il, la clé de la décence ordinaire. C’est cette faculté même d’être attaché aux autres dans leur caractère ordinaire, qui est aussi le nôtre, qui nous prévient contre toute action violente contre eux, contre toute volonté de domination. Cela ne veut pas dire que les gens ordinaires ne peuvent pas être pervers, mais que cette perversion nécessité la rupture totale avec leur monde de la vie, avec cette assise naturelle de l’existence. (...)