
C’est la course avant la course. Celle où on attrape des stylos, où on se chamaille pour un briquet, où on se démène pour un petit sachet de bonbons, où on s’étripe pour une casquette jaune, où on peut en venir aux mains pour un petit bout de saucisson…
Depuis 1930, la caravane publicitaire ouvre toujours la route aux forçats du Tour de France, et fait le bonheur des spectateurs massés sur les bords des routes, en attendant le peloton. Et pour assurer le spectacle, les marques recrutent du personnel, essentiellement féminin. De jeunes hôtesses disponibles, souriantes, élégantes, payées environ 2000 euros net, dont on attend qu’elles soient professionnelles en toutes circonstances.
Même quand le public va trop loin. Mains aux fesses, verre d’urine jeté sur la robe, moucherons collés sur les dents... Franceinfo les a interrogées pour qu’elles racontent les coulisses (moins glamour) de leur quotidien sur la Grande Boucle. (...)
"LES BLAGUES DE CUL, C’EST TOUS LES JOURS"
Ce n’est pas le plus beau des véhicules de la caravane publicitaire, mais certainement l’un des plus attendus. "Quand ils nous voient arriver, les gens pensent qu’on va leur distribuer des frites gratos, s’amuse Charlotte, hôtesse pour la marque de surgelés McCain. Le problème, c’est qu’on n’a rien à manger, on n’a que des sacs cabas pour eux !"
Déguisée en cornet de frites, la jeune femme de 27 ans se déhanche et harangue la foule pour mettre l’ambiance. Equipée d’un micro, elle balance un slogan facile à retenir : "Du soleil, des frites et de la bonne humeur... Toutes les occasions sont bonnes à partager !" Elle pense le répéter "au moins 500 fois par jour".
Mais ce n’est pas grand-chose par rapport aux aléas de son Tour de France à elle. Souvent perchée sur le toit du char McCain, à trois ou quatre mètres de haut, Charlotte redoute davantage "les coups de frein à 60 km/h", "le vent en pleine face", "les piqûres d’abeilles", "les moucherons entre les dents", et "les blagues de cul". Ça, c’est tous les jours. "Rien de très poétique, pardon par avance... Mais il y a la traditionnelle ’Je te mettrai bien ma saucisse’ ou la classique ’Tu veux un peu de sauce ?’ et l’inévitable ’Tu es toute nue sous ta frite ?’"
Dans la vraie vie, je descendrais mettre des baffes. Mais là, je représente une marque. Donc tu encaisses et tu souris.
Charlotte, hôtesse sur le Tour de France pour la marque McCain (...)
omme toutes les hôtesses du Tour de France, Juliette a été recrutée par une agence spécialisée, qui collabore directement avec des sponsors ou des marques. Quand les hôtesses ne sont pas étudiantes, elles sont souvent à la recherche d’un emploi. Mais d’autres exercent cette activité toute l’année. "On postule, on envoie un CV et on attend le coup de fil", explique la jeune femme de 30 ans, étudiante en école d’ingénieur chimiste.
Dans leur réunion préparatoire, les agences préviennent que "ça peut parfois être chaud". Etre "chaud" ? "Oui, il y a des endroits où c’est plus compliqué..." Comme aux abords de la ligne d’arrivée, par exemple, car "tu es au milieu de la foule, toute seule". Au programme : "des mains aux fesses", "des caresses hasardeuses", "des bisous forcés", "des photos en pleine face"... "Il faut s’y faire", soupire Juliette.
Les lourds, tu les vois venir. Il faut les éviter, faire comme s’ils n’existaient pas. Les ignorer.
Juliette, hôtesse aux abords de la ligne d’arrivée des étapes du Tour de France (...)
Solidaires entre elles, les hôtesses se passent le mot. "On sait qu’il y a des coins plus chauds que d’autres." La montagne, par exemple. "Tu croises des supporters qui sont au Pastis depuis 9 heures du matin, sous 35 °C..." En sept Tours de France, Elodie a aussi eu droit à des jets de vin, d’eau et de lessive. Sans oublier les insultes. "Radine", lorsque les gens trouvent qu’elle ne distribue pas assez de cadeaux. "Salope", quand les cadeaux ne leur conviennent pas.
J’ai même vu des mères de famille me traiter de "connasse"...
Elodie, hôtesse sur le Tour de France pour la marque Ricoré
C’est comme si "le public avait laissé son cerveau à la maison" (...)