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« Ça n’est jamais arrivé que les médias soient concentrés entre les mains de si peu de personnes ». Fabrice Arfi (Médiapart)
Article mis en ligne le 20 février 2022
dernière modification le 19 février 2022

Nous avons rencontré Fabrice Arfi, journaliste à Médiapart qui est co-rédacteur en chef du film Média Crash, à l’occasion de la sortie de ce film évènement sur l’hyperconcentration historique des médias français. Neuf milliardaires possèdent 90% des médias.

Fabrice Arfi pouvez-vous revenir sur les origines du film Média Crash ?

C’est l’histoire d’une rencontre entre une urgence professionnelle et une urgence démocratique. La rencontre professionnelle, c’est celle de deux médias qui se connaissent bien, qui ont fait pas mal de choses ensemble, à savoir Médiapart d’un côté et Premières Lignes de l’autre. Premières Lignes étant l’agence de production notamment de Cash investigation. On a déjà travaillé ensemble sur plusieurs Cash investigations, sur des Leaks que l’on a faits ensemble, notamment les Football Leaks.

L’urgence démocratique, c’était l’idée de se dire que l’on avait atteint la côte d’alerte en termes d’hyperconcentration historique des médias français, dont on voit bien qu’elle est rampante depuis un certain nombre d’années, mais qui a atteint une côte d’alerte dans le sens où l’on assiste a une sorte de captation du débat public par une extrême droitisation de la parole publique où les faits non plus aucune espèce d’intérêt.

On a voulu démontrer que l’hyperconcentration des médias pouvait avoir des conséquences sur la fabrique de l’information et donc, on a sélectionné un certain nombre d’histoires sur lesquelles on apporte des éléments nouveaux. Cette hyperconcentration permet le règne des opinions délirantes et on voit bien avec la figure de Zemmour, à quel point cela peut prendre une forme extrêmement puissante, qui contamine tout le débat public.

Vous parliez d’extrême droitisation de la parole, cela concerne essentiellement CNEWS n’est-ce pas ?

Le film ne parle pas que de Bolloré, même s’il y a une partie non négligeable qui concerne son groupe. Je dirais que cela représente 60% du film. On en parle dans le volet qu’on a appelé « les incendiaires » dans le film. C’est en effet une entreprise idéologique qui vient essentiellement d’un groupe, qui est le groupe Bolloré, avec cette particularité qu’une chaine de télé, c’est un bien public.

Dans les chartes et les contrats d’occupation de l’espace public télévisuel, il est dit qu’on ne peut pas faire des chaines d’opinions. Or on voit bien que c’est ce qui est en train de se passer avec le groupe Bolloré et on le décortique dans le film, notamment par le truchement de Cyril Hanouna qui est devenu un vecteur ultra puissant d’extrême droitisation du débat public. Tout cela est soutenu par une étude d’une chercheuse du CNRS : Claire Sécail. (...)

On voit par exemple, aujourd’hui, comment un concept criminel, qui est celui du grand remplacement, n’est même plus discuté quand il surgit dans le débat public. Il a contaminé Valérie Pécresse, qui en parle par exemple.

Est-ce aussi vrai pour le wokisme ou l’islamogauchisme ?

Le wokisme et l’islamogauchisme sont de mon point de vue des concepts farfelus qui ne repose sur rien de très précis scientifiquement, mais qui pourquoi pas, pourraient faire partie du débat public. Encore que, comme Serge Klarsfeld l’a rappelé récemment, il y a des résonances assez désagréables entre le judéo-bolchévisme des années 30 et l’islamo-gauchisme des années 2020.

Ce que je veux dire par là, c’est que cela participe d’une popularisation sur des antennes de très grande écoute, de ce qui était jusque là une espèce de minuscule niche faschisante et d’extrême droite, avec toute une génération de jeunes gens qui présente bien, des jeunes gens modernes, dont Valeurs actuelles est la pépinière et ça contamine tout le reste. (...)

on espère que le film, par l’effet de sidération, d’indignation et aussi parfois de rire, car il y a des scènes parfois assez cocasses, va installer cette discussion. Ce ne doit pas être une discussion de journalistes, mais une discussion citoyenne, dans un moment très particulier qui est celui de la campagne présidentielle. C’est pour cela qu’on a fait ce film dans un délai aussi court. C’est un débat qui appartient à tout le monde, ce n’est pas un débat de gauche ou de droite. C’est un débat urgent et il est complètement occulté du débat public.

Cette concentration que vous dénoncez va-t-elle avoir des conséquences sur l’élection présidentielle selon vous ?

Si on arrive à conscientiser les téléspectateurs, les auditeurs, les lecteurs sur le fait qu’ils consomment de la « mal information », comme on peut consommer de la mal bouffe… Parce que pour moi, c’est le même débat que la santé alimentaire. Il y a des circuits courts, des produits de bonne qualité et c’est la même chose pour l’information. Quand on consomme de la mauvaise information, ça a des conséquences sur la santé démocratique d’un pays.

Le droit de savoir, c’est aussi important que le droit de vote (...)

C’est un film qui a été fait pour qu’on ne s’habitue pas et pour qu’on discute. C’est un film, qui a des défauts, mais on assume parfaitement l’urgence dans laquelle on a fait ce film et les premiers retours qu’on a des salles et des débats me laissent à penser qu’on a peut être visé juste, qu’on a touché à un point important : l’appétit des citoyens d’essayer de comprendre le monde médiatique dans lequel ils vivent, dans lequel ils sont à leur cœur défendant consommateurs d’une information vérolée. (...)

Notre directeur de publication pointe souvent le problème du rapport entre les GAFAMS et la presse indépendante. Qu’en pensez-vous ?

Les GAFAMS ne sont pas abordés dans Média crash, mais ça pourrait être un média crash 2. Ce qui est certain, c’est que les GAFAMS ont des accords bilatéraux, à l’abri du secret des affaires, avec les grands médias, qui du coup, sont favorisés. La plupart des grands quotidiens nationaux ont des accords bilatéraux avec Facebook, Google, qui favorisent leur mise en avant, qui leur donnent de l’argent, de manière discrétionnaire. Quand on les interroge, ils nous disent : « c’est le secret des affaires » et ne nous répondent pas. Ce qui, pour des journalistes, est quand même extravagant.

C’est l’un des enseignements et des paradoxes de l’enquête qu’on a mené d’ailleurs. Il est très difficile de faire parler de journalisme aux journalistes (...)

Un documentaire de Reporter Sans Frontières aborde les pratiques du groupe Bolloré qui n’hésite pas à porter plainte contre les journalistes. Qu’en pensez-vous ?

Il n’y a pas seulement les plaintes, il y aussi le droit du travail. On voit bien comment Bolloré a décapité des rédactions entières. Il y a eu des rédactions décimées quand Bolloré a débarqué à la manière d’Attila. Avant qu’I-télé deviennent CNEWS, il y a une centaine de journalistes qui sont partis. Quand il a repris Europe 1, il y a la moitié de la rédaction qui a disparu. C’est une dévitalisation des rédactions, qui en perdant un savoir-faire, perdent leur indépendance.

Concernant les plaintes, on le raconte beaucoup dans le documentaire. C’est ce que l’on appelle les « barbouzeries » dans le groupe de Bolloré, quand il s’agit de tordre le bras des journalistes qu’il ne contrôle pas. (...)

Je pense qu’il y a pleins de spectateurs qui vont halluciner quand ils vont découvrir les coulisses de ces pratiques, parque c’est l’invisible en faite. C’est même au sens étymologique obscène. Obscène, dans l’étymologie latine, ça veut dire hors la scène et nous ce qu’on montre, c’est ce qui hors de la scène de la fabrique médiatique.

On ne le fait pas avec des théories, on le fait avec des enquêtes factuelles, on a l’orgueil de dire : « ce qu’on vous montre, on vous le démontre ». (...)