
La collecte des ordures ménagères n’a connu aucune interruption durant le confinement. Mais celle des déchets recyclables s’avère plus aléatoire. Si la mission de service publique est indispensable, qu’en est-il de la protection des travailleurs face au virus ?
Le recyclage des déchets est-il une activité essentielle à la nation au même titre que les hôpitaux, les supermarchés ou La Poste ? Cette question illustre les contradictions dans lesquelles s’empêtre le gouvernement depuis le début de la crise du coronavirus : comment préserver la santé des travailleuses et travailleurs tout en conservant un semblant d’activité économique ? (...)
Si actuellement la collecte des ordures ménagères jetées dans les poubelles noires (ou grises) est bien assurée, celle du recyclage (poubelle jaune) a fortement reculé. Certaines municipalités ont dû s’adapter au manque de personnel et revoir leurs tournées. Mais surtout, sur les 176 centres de tri qui existent en France, 122 sont encore activité selon l’état des lieux établi par l’éco-organisme Citeo au 17 avril dernier.
Beaucoup ont fermé leurs portes par mesure de précaution, faute de pouvoir respecter les distances de sécurité sur les chaînes de tri. Certains centres ont même recensé des cas de personnes porteuses du Covid-19 comme à Toulouse, sans pour autant entraîner de fermeture, au grand dam de Nicolas Refutin, secrétaire général du syndicat CGT Toulouse métropole
On est bien contents que la ministre félicite tous les gens qui œuvrent pour maintenir le pays. J’espère qu’elle se rappellera que le service public aura été utile au moment des prochains débats sur la réforme des retraites. » (...)
Habituellement, les déchets sont stockés trois jours après la collecte avant d’être triés, le temps que les germes deviennent inoffensifs. Un délai que la collectivité a souhaité supprimer, alors que les informations concernant le temps de « survie » du virus sur les surfaces ne sont pas toujours faciles à appréhender. « Dans un tel contexte, les mesures de sécurité devraient être renforcées et pas supprimées. Il y a eu une levée de boucliers de la part des collègues pour maintenir ce délai de 72 heures », poursuit Nicolas Refutin. (...)
Masque ou pas masque ? Le gouvernement n’est pas clair
Le syndicaliste s’inquiète également du stock de masques, avec des équipes qui doivent parfois faire face à des pénuries. À Nantes, les éboueurs sont carrément obligés de les coudre eux-mêmes (...)
Ces masques font pourtant partie de l’équipement obligatoire, notamment pour laver les bennes à ordures. Mais les stocks sont limités : deux semaines en moyenne dans les collectivités (...)
Le Haut conseil pour la Santé publique a publié un avis assurant que le travail de collecte et de tri des déchets « ne justifie pas le port d’un masque en conditions professionnelles ». Et dans son kit de lutte contre le Covid-19 à destination des professionnels du déchets, le ministère du Travail ne mentionne pas une seule fois le mot « masque »...
Il s’agit de poursuivre le recyclage pour l’industrie agroalimentaire
Au-delà du débat autour des équipements de protection, une chose est sûre : le ministère de la Transition écologique a déclaré qu’il faudrait « maintenir aussi longtemps que possible la collecte séparée (emballage, papier, carton, verre) auprès des ménages » et « maintenir aussi longtemps que possible l’activité des centres de tri des déchets ménagers collectés séparément »
Une pression qui agace Nicolas Garnier, le délégué général de l’association Amorce, qui accompagne les collectivités locales dans la gestion de leurs déchets : « On peut vivre sans collecte sélective. Ce n’est pas comme pour les ordures ménagères qui posent des problèmes de salubrité publique », dit-il. Conserver ses boîtes de céréales et ses briques de lait à la maison ne pose au pire qu’un problème de place dans les plus petits espaces. Mais alors, pourquoi de telles directives officielles ? (...)
La réponse se trouve du côté de l’industrie qui utilise les déchets recyclés pour fabriquer des emballages. « Il est essentiel de continuer à alimenter la chaîne du recyclage pour ces acteurs notamment de l’agro-alimentaire et de la pharmacie. Parce que si on avait autant de mal à produire du gel hydroalcoolique, ce n’était pas uniquement à cause du contenu, mais aussi à cause d’un manque de flacons », dit Anne-Sophie Louvel, de Citeo. D’ailleurs, les usines de recyclage n’ont pas fermé leurs portes. (...)
Dans son état des lieux hebdomadaire, l’éco-organisme Citeo juge que la situation varie selon les filières. Les cartonniers par exemple, continuent d’assurer leur activité car ils avaient du stock, mais « la diminution des activités industrielles et commerciales fait craindre une diminution des matières ». D’autres industries s’avèrent plus dépendantes, comme le verre. (...)
Face à la fermeture des centres de tri, les collectivités – à qui incombe la gestion des déchets – ont dû s’adapter. Certaines ont réduit la fréquence de collecte. D’autres ont demandé de garder les poubelles à la maison. Certaines stockent en attendant que les centres de tri rouvrent leurs portes. Mais dans certains cas, il n’y a pas d’alternative : il faut envoyer le tout à l’incinérateur (...)
Dans les incinérateurs, les salariés semblent mieux protégés que dans les centres de tri, selon Julien Lambert, qui travaille dans celui d’Ivry. (...)
Mais les incinérateurs ne sont pas des puits sans fond et leur capacité d’engloutissement de nos ordures est limitée par arrêté préfectoral. On ne sait pas encore si, à l’échelle de la France, ils pourront tout avaler et certaines collectes finiront peut-être leur vie en décharges, dont la capacité est elle aussi limitée. « Si on augmente la quantité de déchets, on risque d’avoir un problème en fin d’année et il faudra demander des aménagements aux préfectures afin qu’elles puissent en prendre plus », craint Bertrand Bohain.
Sans oublier que tout cela a un coût que les collectivités vont devoir assumer (...)
À quoi il faudra rajouter l’absence de revenu issus du recyclage même si l’éco-organisme Citeo a déjà versé les primes en avance. La facture risque d’être salée... (...)
La fermeture des déchetteries entraîne une prolifération des dépôts sauvages
Au sujet de préoccupation : les déchetteries, qui ont fermé pour des raisons sanitaires, entrainant une prolifération des dépôts sauvages dénoncés par certains maires, comme par exemple à Tourcoing, Chalon, Laval ou encore dans le Pays fouesnantais, en Bretagne.
Face à un tel manque de civisme, des sénateurs ont alerté la ministre, Élisabeth Borne, qui étudie la question de la réouverture des déchetteries. Certaines municipalités ont pris les devants, comme dans l’agglomération d’Oyonnax, dont la déchetterie rouvrira les mercredis pour les déchets verts, qu’il est interdit de brûler dans son jardin.
Mais quelle que soit la situation, les professionnels des déchets sont unanimes : il faut continuer à trier pour ne pas perdre les bonnes habitudes durement acquises. (...)
On est bien contents que la ministre félicite tous les gens qui œuvrent pour maintenir le pays. J’espère qu’elle se rappellera que le service public aura été utile au moment des prochains débats sur la réforme des retraites. »