
Dans l’État de Virginie-Occidentale, au cœur des Appalaches, le déclin de l’industrie du charbon laisse les habitants sans perspective économique. La solution est-elle dans un renouveau de la production agricole ? Apporter aux habitants pauvres de la région une alimentation saine et abordable, c’est en tout cas la mission que se donne la famille McKinney, qui s’occupe d’une banque alimentaire. Et qui encourage les habitants à lancer leurs propres jardins et à produire leur nourriture alors que l’obésité bat des records. Reportage dans l’Amérique des oubliés de la transition industrielle et énergétique, là où s’expérimentent de nouvelles voies vers l’autonomie.
Les emplois ? Dans les fast-foods ou dans les prisons
Les chiffres officiels le confirment. Le nombre total de mineurs de charbon dans le comté de MacDowell a fortement baissé depuis l’apogée du secteur, dans la première moitié du XXe siècle. Le nombre de mineurs dans le comté est tombé d’environ 1700 en 1990 à 1100 en 2014. Plusieurs raisons l’expliquent : les techniques d’extraction comme le mountaintop removal (« étêtement des montagnes », voir notre article) requièrent bien moins de main d’œuvre que les mines souterraines, et l’industrie locale du charbon subit la concurrence de sources moins chères, comme celle du gaz de schiste. La plupart des emplois subsistant dans le comté n’offrent que des salaires modestes, dans les fast-foods ou dans les prisons.
Du chômage découle la pauvreté, ainsi qu’une série de problèmes sanitaires alarmants. Selon des statistiques de 2011, plus de 46% des habitants du comté de McDowell sont obèses. La moyenne du pays est de 34%. L’espérance de vie est l’une des plus faibles des États-Unis, 64 ans pour les hommes et 72 pour les femmes ; les moyennes nationales sont de 76 et 81 ans respectivement. Le comté est également le premier de l’État en termes de grossesses d’adolescentes et de personnes handicapées.
Des familles piégées par la maladie, le chômage et les addictions (...)
Une nourriture riche et saine contre les problèmes de santé liés à la pauvreté
Linda a appris à cuisiner aux côtés de sa nonna. « Nous n’avions pas de recettes. Rien n’était mesuré, mais chaque jour avait son objectif. Lundi était le jour du pain. Le dimanche, nous faisions la sauce… Les dimanches, la nourriture restait sur la table en permanence et nous mangions du matin au soir. » Ils faisaient du poulet cacciatore, des pâtes fraiches maison, des omelettes, et de la soupe de mariage italienne. Autant de souvenirs chéris par Linda. Mais elle se glissait aussi chez les voisins pour goûter leurs haricots pinto et leurs biscuits. Aujourd’hui encore, ses recettes mélangent le local et l’étranger, le vieux monde et le nouveau.
Linda prépare et distribue une nourriture riche et saine parce que c’est ainsi qu’elle a été élevée, et que c’est ce qu’elle a donné à ses propres enfants. Mais aussi parce qu’elle veut lutter contre les problèmes sanitaires dans le comté. Elle sait que l’obésité et la pauvreté vont ensemble (...)
Chaque mercredi, durant l’été, elle organise des séances de cuisine collectives dans les jardins, mettant l’accent sur les habitudes alimentaires saines et les légumes frais. D’après Linda, ces séances attirent près de 400 participants réguliers. Elle propose également des cours de Zumba (elle est instructrice certifiée), des séances de plantation de légumes, et des cours de cuisine.
L’agriculture comme alternative économique
Contrairement à sa mère Linda, Joel McKinney n’aime pas se salir, et déteste les insectes. Ce qui l’attire est le défi de l’invention. « Je suis fou de science », me dit-il à plusieurs reprises. Il pratique une forme d’agriculture urbaine généralement utilisée en intérieur, mais il le fait à l’extérieur pour que les gens du coin le voient faire. Le spectacle inhabituel de ces cinq tours hydroponiques blanches en plastique, chacune haute de plus de 2,5 mètres et pleines à craquer de branches de toutes les couleurs, attire les passants curieux. C’est exactement ce que Joel espère.
Ce travail accapare tout son temps depuis qu’il a quitté son emploi chez Norfolk Southern. Il s’est consacré à plein temps à la culture : il a déménagé dans le sous-sol de ses parents, s’est inscrit au cursus en ligne offert par l’université Penn State pour obtenir un diplôme en agronomie, et a construit des tours hydroponiques à Welch, en plus de ceux de Five Loaves. Pour cela, il s’est endetté d’environ 30 000 dollars. « Dans à peu près deux ans et demi, si rien ne se passe, ma vie va devenir difficile. Mais je suis sûr de moi. »
Bien qu’il affirme qu’il ne fera jamais payer la nourriture à Five Loaves, il espère que ses tours à Welch finiront par lui faire gagner de l’argent. Il a déjà contacté les enseignes Wal-Mart et Kroger. Lorsqu’il aura commencé à vendre ses légumes, il projette de réinvestir les bénéfices dans le jardin communautaire de Five Loaves pour y financer des projets, parmi lesquels un programme d’agriculture soutenue par la communauté (comme les AMAP en France) qui distribuerait directement la nourriture aux gens du coin, un marché fermier permanent, un magasin de plantes avec des pousses à vendre et, surtout, des programmes éducatifs. (...)
« Les politiciens ont une attitude – ‘Ces gens ne sont là que pour recevoir de la nourriture gratuite.’ ‘Trouvez un travail’, qu’ils disent. Mais où ? Moi je dis : ‘Trouvez-leur un travail, j’arrêterai de leur donner à manger.’ » (...)
Linda McKinney a raison lorsqu’elle me dit que toutes les routes du comté mènent à la banque alimentaire. Cela pourrait sembler déprimant, mais il s’agit d’autre chose que de dépendance. Dans le comté de McDowell, la banque alimentaire Five Loaves and Two Fishes est le cœur de la communauté, un endroit où les gens se rendent pour apprendre, pour trouver de la compagnie, et pour la vision qui l’anime. (...)