
Récession mondiale, effondrement du commerce international, explosion du chômage, endettement... Tous les signaux l’indiquent clairement : à la crise sanitaire succédera une crise économique. L’économiste Dominique Plihon, également membre d’Attac France, nous éclaire sur les mécanismes, l’origine, la nature et les conséquences de la crise. Premier volet de notre entretien.
Dominique Plihon [1] : C’est une crise systémique et endogène. Systémique, car elle implique directement les systèmes politiques, économiques et écologiques dans lesquels on vit à l’échelle mondiale, et endogène, parce que c’est bien le dysfonctionnement du système économique qui est la cause de la pandémie : aujourd’hui, les activités économiques ont des impacts considérables sur la dégradation de l’environnement, des écosystèmes et de la biodiversité. La crise du coronavirus révèle les liens directs entre économie, écologie et santé. Les zoonoses – virus qui se transmettent des animaux chez l’humain – se répètent et se répandent d’autant plus vite sous l’effet de notre modèle économique. (...)
On ne peut pas pointer du doigt un seul élément, tout fonctionne ensemble. La rupture des chaînes de valeur est une cause évidente. On constate la fragilité d’un modèle où les multinationales organisent leur système de production à travers le monde pour optimiser leur profit, en allant dans les endroits où les coûts de la main d’œuvre et de sa protection sont les plus faibles. Il est clair aussi que la crise vient frapper de plein fouet un capitalisme financier qui était déjà mal en point : la finance mondiale ne s’est jamais vraiment remise de la crise de 2008, elle reste très vulnérable et insuffisamment régulée. L’emprise de la finance reste considérable sur les entreprises, qui continuent donc de viser les « sur-profits » par la prédation de toutes les ressources disponibles : la nature, les matières premières, les travailleurs.
On redoutait d’ailleurs une nouvelle crise financière, même si on ne se doutait pas qu’elle interviendrait comme ça, à la suite d’une pandémie, et de ses effets économiques, c’est-à-dire à partir de l’économie dite « réelle » (...)
Je ne crois pas à ce risque d’insolvabilité. Je pense au contraire qu’on doit récuser ce terme, pour la simple et bonne raison que les États ne sont ni des entreprises privées, ni des ménages. La grande erreur que font la quasi-totalité des économistes, des analystes financiers et des responsables politiques, c’est d’analyser la dette d’un État comme n’importe quelle autre dette. Ce n’est pas du tout la même chose !
De manière générale, un État ne fait pas faillite. Pourquoi ? Parce qu’il a les moyens de lever l’impôt et d’organiser la création monétaire pour financer sa dette – deux leviers qui ne sont pas à la disposition des autres acteurs privés. C’est d’ailleurs cette capacité de création monétaire qu’utilise actuellement la Banque centrale européenne pour acheter de la dette publique, quitte ensuite à l’annuler, en partie ou en totalité. Si un pays comme la Grèce a été mis en situation de quasi-faillite en 2015, c’est en grande partie parce que le système de la zone euro l’a privé de ce pouvoir de création monétaire. (...)
Ce double effondrement simultané de l’offre et de la demande globales, est inédit. Il s’est rarement vu, hormis peut-être lors des grèves générales de 1968 en France, où les gens ont baissé leur consommation en même temps que les entreprises étaient à l’arrêt total. Et bien sûr également en temps de guerre. (...)
Surtout, il y a le fait que c’est une crise mondiale, que tous les pays sont emportés en même temps dans la crise. C’est tout de même la première fois depuis Mao Zedong que la Chine a une baisse de son PIB. Or elle produit beaucoup de ce que nous importons, dans les domaines médicamenteux et alimentaires notamment. Donc, quand l’approvisionnement s’interrompt, on réalise notre dépendance à l’extérieur et notre faible capacité productive. (...)
L’enseignement de cette crise, c’est l’importance du travail. C’est la démonstration que, dans un système économique dominé par le capital, le travail est et reste le facteur le plus essentiel (...)
Cela montre aussi qu’il y a des travailleurs plus importants que d’autres pour la vie de la société. Or ce sont ceux-là mêmes qui sont aujourd’hui au front – les infirmières, aide-soignantes, enseignants, livreurs, caissières, journaliers agricoles, etc. – souvent des femmes, qui se trouvent être aussi les plus défavorisés sur le plan social et salarial.
C’est aussi tout le paradoxe de la société néo-libérale : ce sont finalement ceux dont on a le plus besoin pour survivre qui sont les plus dévalorisés aux yeux des élites politiques et économiques. Les premiers de cordée pour Macron, c’étaient les cadres d’entreprise, les traders, les consultants et les publicitaires, autrement dit tous ces gens qui font de la « mousse », qui vendent des choses inutiles et voire néfastes à la société. (...)
L’opinion publique est en train de prendre conscience de ce qu’est le travail utile. C’est une inversion très salutaire. (...)
De même, cela remet les pendules à l’heure sur la question du chômage et de la protection des chômeurs dans notre société : Macron avait fait passer une réforme qui détricotait les droits des plus précaires, et le voilà obligé de réintroduire du chômage partiel, des indemnisations et donc de reconnaître que finalement, une assurance chômage très protectrice, c’est socialement et économiquement nécessaire. (...)
Cette décroissance peut avoir un double effet, à la fois dévastateur et salutaire – comme souvent avec les crises, d’ailleurs. (...)
Le second volet de cet entretien, publié le 30 avril, abordera les solutions possibles face à la crise économique et sociale qui s’annonce.