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Chaînes d’info : l’extrême droite en croisière
Article mis en ligne le 9 octobre 2020
dernière modification le 8 octobre 2020

Bien au-delà du seul cas d’Éric Zemmour, on assiste ces dernières années à une banalisation et à un enracinement des discours d’extrême droite, islamophobes ou racistes dans les médias dominants. C’est tout particulièrement le cas sur les plateaux des talk-shows des chaînes d’info. Nous analysons ici les mécanismes qui, alliés à la complaisance (ou au militantisme) des éditorialistes, chroniqueurs, directeurs et patrons de chaînes, entretiennent ce climat délétère.

D’Olivier Galzi, établissant des comparaisons entre le voile et l’uniforme SS (LCI, 19 oct. 2019), à Éric Zemmour, décrivant les migrants de Lesbos comme des « envahisseurs […] qui n’ont qu’un espoir, c’est […] imposer leurs modes de vie à nos pays » (CNews, 26 juin) ou parlant des mineurs isolés en affirmant : « Ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs, c’est tout ce qu’ils sont. […] Il faut les renvoyer » (CNews, 29 sept.) ; en passant par Judith Waintraub, à qui il suffit de voir une femme voilée à l’écran pour faire un parallèle avec les attentats terroristes du 11 septembre [1], ou encore Yves Thréard, qui confesse en plateau : « Il m’est arrivé, en France, de prendre le bus ou un bateau où il y avait quelqu’un avec un voile, et je suis descendu » (LCI, 14 oct. 2019)… Pas une semaine ne passe sans que des propos racistes ponctuent le « débat public », la plupart du temps, sans contradiction.

Islam, immigration, « insécurité » : disons-le d’emblée, ce sont à ces obsessions que nous nous intéresserons dans cet article. Obsessions qui ne sont pas la chasse gardée du seul Rassemblement national, ni même la propriété de la droite la plus conservatrice. À force de raccourcis, d’amalgames et de fantasmes permanents, les discours xénophobes et islamophobes irriguent désormais un large spectre du champ politique et médiatique, en particulier sur les chaînes d’info, dont les plateaux sont quadrillés par les rentiers de la polémique (...)

Comment comprendre qu’une chaîne comme LCI puisse interrompre son antenne pour diffuser le discours haineux du multirécidiviste Éric Zemmour à la tribune d’un groupuscule d’extrême droite, sans inclure ce « moment » médiatique dans un continuum plus long d’acceptation des paroles racistes ? Comment comprendre plus d’un mois de matraquage médiatique autour du voile sans l’intégrer dans l’indexation, à l’agenda des médias, des thématiques fétiches de l’extrême droite ? Comment comprendre l’acharnement contre une manifestation dénonçant l’islamophobie sans souligner la fatuité des éditorialistes, têtes chercheuses à polémiques pratiquant un « journalisme à la louche » ? Comment comprendre une rentrée médiatique polarisée autour de « l’ensauvagement », hystérisée par les débats « sécuritaires », sans pointer la fait-diversion de l’actualité et l’anémie du pluralisme, sur laquelle prospèrent les voix de droite et d’extrême droite, visiblement seules à même d’occuper le champ sur de tels sujets ?

Poser ces questions permet sans doute de mettre en valeur les mécanismes structurels qui sous-tendent – et accélèrent – la droitisation des chaînes d’information en continu. Des mécanismes insidieux que nous synthétiserons en quatre points :

  1. (1) les dispositifs du clash et de l’opinion ;
  1. (2) la fait-diversion de l’actualité et la mise à l’agenda des thématiques fétiches du RN, construites souvent ex nihilo comme des « priorités des Français » ;
  1. (3) l’anémie du pluralisme ;
  1. (4) la fabrication d’agitateurs en tant que produits d’appel. (...)

si éditorialistes et politiques « se lâchent » et multiplient les déclarations tapageuses, c’est parce qu’ils savent qu’ils interviennent dans des dispositifs qui le tolèrent, voire le suscitent. Si leurs propos semblent toujours plus outranciers, c’est qu’ils savent qu’ils sont attendus sur ce registre, qu’ils ne seront donc que rarement repris en direct, et que leurs discours seront a posteriori (et dans le meilleur des cas) qualifiés de « gouttes d’eau », qui tombent pourtant dans un vase à ras-bord depuis longtemps. (...)

Basées sur le clash, les postures de ces agitateurs sacralisent en outre des valeurs virilistes, si ce n’est masculinistes, particulièrement chères à l’extrême droite (...)

La course au buzz pratiquée par les talk-shows, et l’emballement de l’agenda médiatique (immigration, insécurité, islam, etc.) sur lequel prospère l’extrême droite, ne peuvent enfin se comprendre sans l’arrière-plan dans lequel ils s’inscrivent : la concurrence acharnée à laquelle se livrent les chaînes d’information en continu ; et le choix délibéré de Vincent Bolloré de mettre CNews au service de ses convictions politiques, en appliquant un management autoritaire et une politique de la terre brûlée. Un fonctionnement contre lequel les chroniqueurs réactionnaires n’ont d’ailleurs jamais un mot plus haut que l’autre. Et pour cause… tant le système les plébiscite.

C’est entendu : les chaînes d’info se livrent une bataille féroce pour de (relativement faibles) parts d’audience, mais qui demeurent un levier essentiel pour les recettes publicitaires. Audiences qui font l’objet d’une communication récurrente sur les réseaux sociaux et à l’antenne de la part des chaînes, avant d’être commentées en permanence dans l’ensemble de médias, très occupés à se regarder le nombril.Pour autant, le pire n’est jamais certain. Et c’est le rôle de la critique des médias de rendre compte des dynamiques mortifères dans lesquelles est pris le système médiatique… pour mieux les combattre. (...)

Un business du racisme, en somme, que les propriétaires de chaînes et les chefferies éditoriales, bien au-delà du cas de CNews, ne rechignent pas à exploiter. (...)

Lorsqu’un média avance sur de telles bases, où l’autoritarisme et le management par la peur sont les bras armés d’un projet éditorial d’extrême droite, lui-même adossé à des objectifs financiers, les perspectives d’une « sortie par le haut » pour le journalisme semblent de plus en plus lointaines… Se livrant bataille à partir d’une telle feuille de route, les chaînes d’info huilent chaque jour davantage les rouages de l’extrême droite, et l’ordre médiatique dérive mécaniquement. (...)

Pour autant, le pire n’est jamais certain. Et c’est le rôle de la critique des médias de rendre compte des dynamiques mortifères dans lesquelles est pris le système médiatique… pour mieux les combattre.