 
	La lutte pour la préservation de l’identité palestinienne dans ce quartier de Jérusalem-Est est emblématique d’une longue histoire d’exil forcé, d’expropriations et de colonisation israélienne.
« Nous sommes en train de devenir invisibles à Jérusalem, relégués en dehors de la ville, hors de vue, cachés derrière des murs de béton, derrière Kafr Aqab. Mais nous luttons pour rester visibles et nous n’irons nulle part en silence. » (...)
Jalal Aboukhater, un écrivain de 26 ans, vient de Beit Hanina, quartier palestinien au nord de Jérusalem, à proximité de Ramallah. Lorsqu’il évoque Kafr Aqab, il fait référence à un faubourg arabe qu’Israël considère comme faisant partie de Jérusalem mais qu’il a, dans le sillage de la seconde intifada, progressivement isolé de la Ville sainte par une barrière en béton, l’ancrant alors géographiquement en Cisjordanie, au nom de la lutte contre le terrorisme.
Depuis l’adolescence, et avec plus de vigueur encore aujourd’hui, Jalal Aboukhater participe aux mobilisations qui visent à soutenir et défendre les résidents palestiniens d’un autre quartier de l’est de Jérusalem, l’emblématique Cheikh Jarrah, en ébullition depuis plusieurs semaines. Alors que Jérusalem-Est s’est transformée, depuis le début du ramadan, en terrain d’affrontements entre Palestiniens et policiers israéliens qui leur bloquent l’accès aux lieux de culte ; tandis que des groupes israéliens d’extrême-droite n’hésitent pas à harceler la population arabe de la ville en appelant à son expulsion, le cas de Cheikh Jarrah vient s’ajouter à une situation déjà explosive. Dans le collimateur de la colère palestinienne, le sort de quatre familles – les al-Kurd, Iskafi, Qassim et Jaouni – dont un tribunal israélien a exigé l’expulsion au début de l’année, en épousant les arguments des associations de colons juifs s’arrogeant des droits de propriété dans le quartier. (...)
Si les quatre familles attendaient aujourd’hui la décision de la Cour suprême, la justice israélienne a toutefois préféré annuler l’audience prévue, prétextant un calendrier peu propice : le 10 mai est pour Israël la « Journée de Jérusalem », qui commémore l’annexion de la ville par l’État hébreu en 1967. Pour les quatre familles menacées, deux choix semblent se dessiner pour l’heure : livrer leurs maisons aux colons ou parvenir à un accord en payant un loyer et en les reconnaissant comme propriétaires fonciers. (...)
Vendredi soir, plus de 220 personnes, en très grande majorité palestiniennes, ont été blessées sur l’esplanade des Mosquées, là où les Palestiniens se rassemblent souvent en nombre pour partager l’iftar.
« Nous connaissons tous Cheikh Jarrah. C’est un quartier que nous traversons tous, lorsque nous allons vers la Vieille Ville et vers la mosquée al-Aqsa », explique Jalal Aboukhater. Les lieux abritent une mosquée et une tombe éponyme datant du XIIe siècle – cheikh Jarrah ayant été l’un des médecins de Saladin –, plusieurs missions diplomatiques et bureaux d’organisations internationales, ainsi que le site du tombeau de Siméon le Juste, grand prêtre vénéré par les juifs ultraorthodoxes et souvent invoqué pour défendre les projets d’expansion coloniale.
Depuis plusieurs décennies, les habitants palestiniens du quartier sont confrontés aux manœuvres des colons visant à prendre possession des lieux et à les extraire de leur héritage arabe. (...)
C’est ainsi que Cheikh Jarrah apparaît comme le miroir grossissant de ce chemin de croix qui n’en finit pas pour les Jérusalémites palestiniens, le récit de la lente dépossession d’une population, dépouillée de son « indigénéité », renvoyée à un statut d’« invitée ». « Il y avait par le passé, avant 1948, un petit quartier juif, abritant principalement des juifs yéménites. Mais aujourd’hui, ce sont de nouveaux colons, majoritairement ashkénazes, occidentaux. On trouve des Français, des Américains, qui sont très religieux et nationalistes et qui veulent rendre leur présence aussi visible que possible au milieu de nos quartiers palestiniens », confie Jalal Aboukhater.
Pour nombre de Palestiniens, le quartier est doublement symbolique, abritant d’un côté les douloureux murmures de l’exil forcé d’hier ; témoin de l’autre d’une Nakba qui n’en finit plus, exacerbée par la violence des discours des colons. (...)
« Ma famille a une maison dans le quartier de Katamon, dans la partie ouest de la ville. Mais mon père ne peut pas la réclamer, même si nous possédons tous les papiers pour cela », dénonce Jalal Aboukhater. « En revanche, si les cours de justice israéliennes tombent sur le moindre design ou artifice qui leur apparaît comme juif, si elles font face à n’importe quelle revendication foncière fondée sur l’identité juive, alors elles soutiennent l’expulsion des familles palestiniennes et donnent les clés aux colons israéliens. » (...)
Malgré la colonisation israélienne d’abord, malgré, ensuite, les intrigues de l’Autorité palestinienne à qui de nombreux résidents palestiniens de Jérusalem reprochent l’exploitation de leur calvaire pour mieux justifier le report des scrutins nationaux initialement prévus à partir du 22 mai, Huda al-Imam semble transportée par la force d’une nouvelle génération à l’avant-poste de la lutte. « C’est la première fois que je sens avec une telle puissance cette identité palestinienne unie contre l’occupation, bien que les Israéliens mettent beaucoup d’énergie à éradiquer notre identité. Peut-être sommes-nous très éloignés de la possibilité d’un État, mais nous formons assurément une nation », dit-elle. « Et même si la classe politique a peut-être bloqué les élections pour éviter de perdre, Jérusalem a en fait déjà voté. »
