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Chiffres du chômage : les réalités derrière la fiction
Article mis en ligne le 15 février 2020
dernière modification le 14 février 2020

Selon Pôle Emploi, le nombre de chômeurs a baissé en 2019. Pour bien comprendre ce qu’il y a derrière les chiffres officiels du chômage et des créations d’emplois (des sujets déjà bien abordés sur ce blog), nous vous offrons deux idées fausses pour le prix d’une ;-], tirées de la 4e édition du livre "En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté" (janvier 2020).

Idée fausse 86 : "Le taux de chômage est un bon indicateur de la santé d’un pays."

Faux. En France comme ailleurs, le taux de chômage est un indicateur très imparfait. Arrêtons de l’utiliser !

De temps à autre, on se félicite ou on se désole de quelques dixièmes de pourcents de taux de chômage perdus ou gagnés. Mais ce taux n’est pas un bon indicateur, principalement parce que, qu’il s’agisse du taux mesuré par l’Insee ou de celui de la catégorie A de Pôle emploi, il exclut les personnes sans emploi qui, temporairement ou plus durablement, ne sont pas en recherche active. Elles sont pourtant bien privées d’emploi et, pour un grand nombre d’entre elles, désireuses de travailler (idée fausse 7). Le taux de chômage peut ainsi se réduire sans que pour autant la conjoncture de l’emploi ne s’améliore en profondeur (voir aussi l’idée fausse 84).

En effet, Pôle emploi ne compte pas les personnes désinscrites ou jamais inscrites et qui souhaitent pourtant travailler. (...)

Précisons aussi que la catégorie A de Pôle emploi ne comptabilise pas les travailleurs précaires, dont le nombre croît sans cesse4. Entre 1996 et 2018, les catégories B et C de Pôle emploi sont passées de 19 % du total des demandeurs d’emploi à près de 40 %, c’est-à-dire de 0,6 à 2,2 millions de personnes.

D’autre part, compte tenu des délais d’enregistrement des dossiers, tous les chercheurs d’emploi en catégorie A n’apparaissent pas dans les chiffres de Pôle emploi : « En moyenne, explique un responsable, j’ai 300 personnes en attente d’affectation dans mon agence5. »

Le taux de chômage ne dit rien, par ailleurs, des inégalités territoriales ou d’âge liées à l’emploi (en particulier l’exclusion croissante des plus de 40 ans qui ont un faible niveau de formation).

Enfin, les reprises d’emploi déclarées ne représentent que 20 % environ des sorties des catégories A, B et C de Pôle emploi6. La moitié du total des sorties sont des non-renouvellements d’inscription dont les raisons peuvent être très diverses, par exemple le fait que lorsqu’on ne perçoit pas ou plus d’allocation chômage, on a moins de raisons de s’inscrire à Pôle emploi (or les conditions pour toucher l’allocation deviennent plus restrictives en 2020…). On disparaît donc des statistiques de Pôle emploi bien qu’on soit encore chômeur…

Quant au chiffre de l’Insee, il correspond aux personnes qui n’ont pas travaillé – ne serait-ce qu’une heure – la semaine de référence, qui sont disponibles dans les 15 jours et qui ont cherché activement un emploi le mois précédent. L’Insee ajoute à ce chiffre (environ 2,8 millions de personnes) deux autres, moins connus. Premièrement, celui du « halo du chômage », c’est-à-dire des personnes qui ne seraient pas disponibles rapidement et celles qui ne feraient pas preuve d’une démarche active de recherche d’emploi, soit parce qu’elles cherchent de leur côté, soit parce qu’elles ne cherchent plus, par découragement. Deuxièmement, le chiffre du « sous‑emploi », qui concerne les travailleurs à temps partiel souhaitant accroître leur temps de travail. L’Insee évalue le halo et le sous-emploi à environ 1,6 million de personnes chacun7.

Dès lors que les chiffres du chômage sont faussés (et masquent des inégalités territoriales de plus en plus importantes), ils autorisent de nombreux discours et politiques qui ne s’attaquent pas à ses vraies causes, mais permettent tout de même de faire baisser temporairement ces chiffres par le développement de l’emploi précaire, le placement des chômeurs dans des formations, l’incitation à l’auto-entrepreneuriat, etc. Ces politiques font sortir des personnes de la catégorie A de Pôle emploi ou des calculs de l’Insee, mais leur efficacité n’est que de façade.

Il existe un meilleur indicateur que les chiffres du chômage donnés par Pôle emploi ou par l’Insee. Il a été lancé fin 2017 par le magazine Alternatives Économiques et mesure8, à partir des chiffres de l’Insee, le taux de non-emploi, c’est-à-dire le taux de personnes actives n’ayant pas d’emploi. (...)