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Assurance chômage : le gouvernement ne peut pas se prévaloir de la science économique pour justifier sa réforme
Clément Carbonnier, Université Paris 8 Baptiste Françon, Université de Lorraine Hugo Harari-Kermadec, Université d’Orléans Sabina Issehnane, Université de Paris Camille Signoretto, Université de Paris Michaël Zemmour, Université Paris 1
Article mis en ligne le 10 octobre 2021
dernière modification le 9 octobre 2021

Alors que le gouvernement relance la mise en application de la réforme de l’Assurance chômage, une note accompagnant le décret prétend fonder la réforme sur la littérature en science économique. Un collectif de six économistes déplore une telle instrumentalisation de l’économie « dans le but de donner à sa réforme un vernis scientifique ». Un procédé néfaste pour le débat public, et qui décrédibilise la recherche académique.

La réforme de l’assurance chômage, dont le décret est paru au journal officiel le 30 septembre 2021 pour s’appliquer dès le lendemain, a une longue histoire malgré cette tentative précipitée d’application. Une première version a été annulée le 25 novembre 2020 par le Conseil d’État, car l’importante baisse de l’allocation de retour à l’emploi qu’elle prévoyait pour certains allocataires était jugée portant « atteinte au principe d’égalité ».

Le gouvernement a depuis modifié le texte, non sur le fond mais à la marge, en plafonnant la perte pour les plus désavantagés. Le plafonnement reste toutefois limité puisqu’il autorise jusqu’à 43 % de baisse du salaire journalier de référence servant de base de calcul à l’indemnisation du chômage. Le juge des référés a cependant suspendu en juin 2021 cette nouvelle mouture sans la juger sur le fond, au motif de la situation de crise.

Le gouvernement relance donc aujourd’hui sa mise en application. Le décret paru est accompagné d’une note argumentaire[1] qui prétend fonder la réforme sur la littérature en science économique, ce que nous contestons dans le présent texte. En effet, compte tenu des enjeux sociaux importants (la baisse très significative des indemnités chômage pour plus d’un million de chômeurs, comme souligné par l’étude d’impact de l’UNEDIC), on est en droit d’attendre que le gouvernement produise des études économiques dont les conclusions étayent le raisonnement du gouvernement et qui correspondent à la réalité de la réforme. Or ce n’est pas le cas des travaux cités comme nous le montrons ici.

La note du gouvernement se base sur deux arguments :

• la reprise est en cours puisque nous connaissons « un vif rebond de l’emploi » et que même « des difficultés de recrutement importantes apparaissent dans l’industrie, le bâtiment et une partie des services » ;

• « la réforme de l’assurance chômage (...) vise notamment à résoudre ce désajustement structurel entre offre et demande de travail », parce que « les règles actuelles de l’assurance-chômage consolident l’expansion des contrats courts car elles permettent à de nombreux actifs d’accepter de tels emplois alors qu’ils sont pourtant insuffisants à leur assurer à eux seuls un niveau de vie décent. »

Le premier point est défendu grâce aux différentes notes de conjonctures de l’INSEE et de la Banque de France. Même si l’objet de cet article n’est pas de discuter de cette dimension, rappelons que toutes catégories confondues 6,7 millions de demandeurs d’emploi sont inscrits à Pôle emploi et que ce chiffre n’a que très peu évolué ces derniers mois (- 2700 inscrits de mai à juillet 2021). Les demandeurs d’emploi en activité réduite, en particulier la catégorie B c’est-à-dire ceux qui effectuent une activité de courte durée, ont connu une hausse, or ce sont les premiers concernés par la réforme de l’assurance chômage. L’évolution à la baisse du nombre de chômeurs de catégorie A s’explique en partie par les transferts importants vers la catégorie D du fait de l’entrée en formation. Alors que le taux de pauvreté des personnes au chômage avoisine déjà les 40%, cette réforme risque de l’accroître encore, tout en accentuant les inégalités dans le système d’emploi.

En outre, le nombre de foyers allocataires du RSA reste nettement plus élevé en 2021 qu’en 2019, et après un semestre de baisse continue du nombre d’allocataires qui avait connu un pic en novembre 2020, on assiste au mois de juillet à un rebond important qui pourrait encore s’amplifier dans les mois à venir, du fait de la fin des dispositifs exceptionnels de crise depuis cet été (prolongation des droits au chômage jusqu’en juin, aide exceptionnelle de 900€ jusqu’en septembre). Ce signal d’alerte sur la situation sociale en France s’accompagne d’une autre évolution, celle de la croissance du nombre de chômeurs de longue durée. Désormais, plus de la moitié des demandeurs d’emploi des catégories A, B et C sont des chômeurs de longue durée et leur ancienneté au chômage a également augmenté, notamment en raison de la crise sanitaire.

En ce qui concerne le second point, la note de présentation de la réforme tente de le faire passer pour une évidence scientifique, en réquisitionnant de manière partielle et partiale, voire biaisée, quelques éléments de littérature économique académique. (...)

le choix des deux duos d’articles supposés défendre cette thèse n’apporte pas d’éléments de preuve très rassurants. (...)

À l’opposé de cet argumentaire alambiqué du gouvernement, un grand pan de la littérature, et notamment l’article de Carole Tuchszirer déjà cité, appuie le fait que diminuer l’indemnisation du chômage réduit le pouvoir de négociation des travailleurs et les incite encore plus à accepter des emplois aux conditions dégradées. Or, c’est bien ce que fait cette réforme puisque si certains allocataires sont plus perdants que d’autres, personne ne gagne au nouveau mode de calcul du salaire journalier de référence. Ceci semble aller totalement à l’encontre des objectifs affichés par le gouvernement (...)

Le second duo d’articles[3]cités en appui de l’argumentaire gouvernemental concerne deux documents de travail non encore publiés. Le premier prouverait selon le gouvernement que les salariés et les employeurs peuvent s’entendre sur les durées de contrats. Toutefois, le cadre d’analyse est difficilement transposable au cas de la réforme présente puisqu’il s’agit d’un mécanisme pouvant augmenter l’indemnisation chômage des salariés de plus d’un an d’ancienneté dans le cadre d’un licenciement économique. Or, le licenciement économique est une procédure très encadrée (bien plus que la signature de CDDs) dans laquelle entrent en jeu les représentants syndicaux et pour laquelle on comprend bien comment la négociation peut amener à retarder certains licenciements de salariés proches d’atteindre cette ancienneté ouvrant droit à une meilleure indemnisation. On voit mal comment une telle étude permettrait de conclure quoi que ce soit sur la faculté des salariés précaires enchaînant les contrats courts à négocier des allongements de leurs contrats du fait de la réforme de l’assurance chômage.

La seconde étude quant à elle analyse bien le passage initial de 6 mois à 4 mois de la durée de travail nécessaire pour avoir droit à l’assurance chômage (qui est une des mesures de la réforme actuelle). Toutefois, la réforme en question a eu lieu en 2009, en réponse à la crise économique, dans un contexte où celle-ci a accéléré une chute de la durée des contrats, et notamment ceux de moins d’un mois. La réforme s’inscrit donc dans cette évolution, et ne peut être considérée comme la cause de la diminution de la durée des contrats à durée déterminée (CDD). De plus, les personnes principalement concernées par les modifications du calcul du salaire journalier sont des personnes enchaînant des contrats bien plus courts que 4 mois, parfois des contrats à la journée, le plus souvent de manière contrainte. On voit mal comment la baisse des CDD de 6 mois relativement aux CDD de 4 mois pendant la crise des subprimes prouve que diminuer substantiellement leur allocation de retour à l’emploi permettrait aux travailleurs enchaînant en 2021 des contrats très courts d’augmenter leur chance de trouver un emploi stable. (...)

Il apparaît donc à la lecture de cette note de présentation que le gouvernement instrumentalise quelques travaux académiques en les interprétant d’une manière qui déforme leurs réelles contributions scientifiques, dans le but de donner à sa réforme un vernis scientifique. (...)