
Depuis le début de l’année, la désinformation climatique est en plein boom sur le premier réseau social au monde, exacerbée par le manque de vérification des contenus postés et les millions de dollars publicitaires déversés par l’industrie fossile.
« Nos données montrent que Facebook est l’un des plus grands pourvoyeurs de désinformation climatique au monde. » C’est par ces quelques mots que Sean Buchan, chercheur pour l’organisation écologiste Stop Funding Heat, résume ses récents travaux copubliés avec le Real Facebook Oversight Board, un des principaux groupes de surveillance indépendant du réseau social.
Leur rapport, daté du 3 novembre dernier, dévoile l’ampleur de la circulation des fake news (ou infox) à propos du climat sur Facebook. Un phénomène qualifié de « stupéfiant » et en « forte augmentation », d’après ces analystes. Le nombre de commentaires et de partages provenant de pages et de groupes consacrés au déni du changement climatique a augmenté de 76,7 % depuis le début de l’année 2021. « Si cette tendance continue de croître à ce rythme, cela peut causer des dommages importants dans le monde réel », s’est alarmé Sean Buchan.
Les chercheurs se sont penchés sur plus de 195 pages et groupes Facebook entre janvier et août 2021 et ont débusqué 48 700 posts minimisant ou niant la crise climatique. Ce flot continu de désinformation sur le réchauffement planétaire engendre jusqu’à 1,36 million de vues par jour. Début 2021, de fausses publications à propos du climat et des énergies renouvelables devenues soudainement virales sur Facebook avaient généré, rien qu’aux États-Unis, plus de 25 millions de vues en à peine 60 jours avant de circuler en Europe. (...)
Parmi ces « Dix toxiques », comme les a baptisés le CCDH, figurent Breitbart News, le média d’extrême droite présidé un temps par Steve Bannon – qui a dirigé la campagne présidentielle de Donald Trump en 2016 –, les sites ultraconservateurs américains Townhall ou Newsmax, ou encore RT et Sputnik, deux médias financés par l’État russe, premier producteur et premier exportateur mondial de gaz fossile. (...)
Pire, le rapport indique que 92 % des posts et messages relayant des contenus issus de cette dizaine de sites ne présentaient aucun avertissement ou étiquette de vérification Facebook. En pleine COP26, Newsmax a même diffusé une publicité sur Facebook qui qualifiait de « canular » le réchauffement global. L’annonce a recueilli plus de 200 000 vues.
« Le dérèglement du climat constitue une menace existentielle et pourtant, Facebook exacerbe le déni climatique, a déploré Imran Ahmed, directeur général de CCDH. Le réseau social amplifie une désinformation qui cherche à retarder les actions vitales pour protéger notre planète et à saper notre confiance dans la science. »
Publicité fossile
Par ailleurs, avec ses près de 3 milliards d’utilisateurs actifs mensuels, Facebook est devenu le nouveau terrain de jeu publicitaire pour l’industrie pétro-gazière. (...)
Les publicités en faveur des fossiles sur Facebook recensées par InfluenceMap valorisent le rôle de l’industrie pétro-gazière dans l’économie locale, la création d’emplois ou encore le confort de vie au quotidien. Près de la moitié d’entre elles suggèrent que les firmes pétrolières et gazières sont pleinement engagées dans la transition énergétique et l’action climatique. (...)
« Greenwashing » confusionniste
Facebook communique abondamment sur son engagement climatique et promet, en tant qu’entreprise, d’atteindre d’ici à 2030 la neutralité carbone. « Le changement climatique est réel. La science est sans ambiguïté et la nécessité d’agir devient de plus en plus urgente chaque jour, jure sur son site le réseau social. […] Nous déployons des mesures importantes pour réduire nos émissions et armer notre communauté mondiale d’informations scientifiques pour prendre des décisions éclairées et agir. »
Face au fléau des fake news sur le réchauffement, le réseau fondé par Mark Zuckerberg a lancé, en septembre 2020, son propre centre d’information sur la climatologie. Et le 16 septembre dernier, Facebook a annoncé la création d’un fonds d’un million de dollars pour appuyer les organisations qui combattent la désinformation climatique.
Des mesures bien en deçà de l’ampleur du phénomène qui empoisonne la question climatique, dénonce Bill Weihl, fondateur de l’ONG ClimateVoice et ancien directeur du développement durable pour la plateforme : « Si Facebook prend au sérieux ses engagements en matière de climat, il doit se demander s’il est prêt à continuer d’accepter l’argent des industriels fossiles. » (...)
Nombre de posts diffusant des affirmations fausses à propos des dérèglements climatiques sont en effet validés par Facebook, au motif qu’ils ne publient qu’une simple opinion.
À la suite de ses travaux début novembre sur la circulation au sein du réseau de fake news climatiques, le Real Facebook Oversight Board alertait : « Facebook fait du greenwashing pour éviter toute responsabilité et sème la confusion comme le doute dans le débat mondial sur le changement climatique. » Et Sean Buchan, le chercheur coauteur de l’étude, de conclure : « Soit ils s’en fichent, soit ils ne savent pas comment y remédier. »