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Comment la France coopère avec un régime qui pratique la torture, traque les homosexuels et bâillonne les journalistes
Article mis en ligne le 29 mars 2018

Sur quelques rares images de la guerre menée actuellement par l’Égypte au Sinaï, on peut apercevoir des véhicule du français Renault Truck Defense. Pas étonnant de retrouver du matériel français sur les terrains de combat égyptiens : Paris est devenu le premier exportateur d’armes vers le Caire et son régime qui réprime toute opposition. Dans ce conflit interdit aux journalistes, ces équipements côtoient des armes prohibées, et les risques de violations des droits humains sont sérieux. Le gouvernement ou les industriels français, à force de commercer avec le régime répressif d’al-Sissi, prennent-ils le risque de voir un jour leur responsabilité engagée pour les crimes commis ?

Pas de suspens dans les élections égyptiennes : le général Abdel Fattah al-Sissi, qui a pris le contrôle du pays en 2013, a choisi son seul et unique opposant, un inconnu qui le soutenait. Tous les autres prétendants à sa succession ont été écartés avant même le scrutin, via des pressions ou des arrestations. Une méthode qui semble assez classique dans un pays où la situation des droits humains est terrifiante. Emprisonnement, torture, disparitions forcées, exécutions... la répression s’étend au-delà des Frères musulmans et vise toute forme d’opposition, les médias, et plus récemment les homosexuels, traqués sur les réseaux sociaux, raflés, mis en prison.

Pas de quoi refroidir la France, pour qui l’Égypte reste un très bon client à qui on ne va pas « donner de leçons ». Malgré l’embargo sur les ventes d’armes demandé par l’Union européenne (UE), malgré l’utilisation de blindés et véhicules Sherpa vendus par Renault contre des manifestants en 2013, le gouvernement a continué à approuver les exportations de matériel militaire et de surveillance au Caire. (...)

Dassault avec ses Rafales, Naval Group (DCNS) avec ses Mistral et ses corvettes Gowind, Renault Truck Defense et ses blindés, Thalès et Airbus avec leur satellite de télécoms militaires, Safran et son drone Patroller… tous les grands noms de l’industrie de la défense française profitent du juteux marché égyptien, mais aussi des groupes moins connus comme la PME Manurhin dont le site Orient XXI révélait récemment qu’elle continue à exporter des machines à fabriquer des munitions vers le Caire.

Des armes utilisées dans une guerre dont on ne peut pas parler ?

N’en déplaise à la ministre des Armées Florence Parly, quand on vend des armes à un pays étranger, celui-ci peut toujours les utiliser. Et pas forcément à bon escient, en particulier quand ce pays fait face à « la pire crise des droits humains depuis des décennies », et ne semble pas nécessairement respectueux du droit international humanitaire. (...)

Depuis le 9 février, c’est au Sinaï que l’armée égyptienne est déployée, dans une vaste opération anti-terroriste dont on ne sait pratiquement rien. Les observateurs des organisations des droits humains et les journalistes ne sont pas les bienvenus dans la péninsule qui sépare l’Égypte de Gaza. (...)

Plus grave : le 1er mars 2018, Amnesty confirme l’utilisation de bombes à sous-munitions dans le nord Sinaï, des armes interdites dont une partie se transforme inévitablement en mine antipersonnel, et qui fait des ravages chez les civils. (...)

Des armes françaises sont-elles utilisées pour commettre des violations ? Là encore, difficile d’obtenir des informations précises sur une zone soumise à un black-out. Compte tenu des volumes d’équipements livrés par la France au Caire, c’est une vraie possibilité (...)

Formations de la police et répression des homosexuels
Au delà des exportations d’armes, la France pourrait également être présente sur plusieurs volets de la répression interne. Des sociétés françaises ont été épinglées pour avoir vendu du matériel de surveillance au gouvernement al-Sissi. Fin 2017, la FIDH a porté plainte contre Nexa Technologies (ex-Amesys, impliqué auprès du régime de Kadhafi en Libye) dont les systèmes de surveillance auraient pu servir à des opérations de répression. L’enquête pourrait conduire à une mise en examen pour complicité de tortures et disparitions forcées. Tout récemment, le magazine Télérama publiait de nouvelles informations sur la vente d’équipements similaires par la société française Ercom. Déployés avec l’aide d’Engie Ineo, filiale d’Engie et actionnaire d’Ercom, ces systèmes permettent d’intercepter des appels, des SMS, et de croiser des informations pour localiser n’importe qui. Un cauchemar dans un pays où les défenseurs des droits ou les journalistes se retrouvent communément sous les verrous.

Autre modalité de coopération : les formations, via le programme Euromed Police, financé depuis 14 ans par l’UE et dont le leader est Civipol, la société de conseil et de service du ministère de l’Intérieur français. L’objectif est de renforcer « la coopération sur les questions de sécurité entre les pays partenaires du sud de la Méditerranée », dont l’Égypte, à travers des projets avec la police locale. Les séminaires de « renforcement des compétences » touchent des domaines variés, de la gestion de grands événements sportifs à la lutte contre la cybercriminalité. Des savoir-faire qui pourraient aussi être utilisés dans la dispersion de manifestations pacifiques ou la traque d’opposants en ligne. En octobre 2017, l’Allemagne a d’ailleurs fini par annuler un atelier de formation sur la surveillance en ligne avec les autorités égyptiennes, de crainte que ces techniques puissent être utilisées dans la répression contre certains groupes, notamment les homosexuels.

Un contexte de répression « féroce » (...)

Dans son rapport mondial 2018, Human Rights Watch parle d’une répression « féroce » en Égypte. Pour l’ONG, l’usage généralisé de la torture par la police pourrait constituer un crime contre l’humanité.

Comment expliquer la complaisance française à l’égard de son partenaire égyptien ? À côté des bénéfices économiques pour les entreprises impliquées, Emmanuel Macron mettait en avant le « contexte sécuritaire » spécifique auquel doit faire face le général al-Sissi, et en premier lieu la menace terroriste. « Cela ne justifie pas tout. Peut-on accepter des exécutions extra-judiciaires sous prétexte de lutte contre le terrorisme ? D’autant plus quand il s’agit d’un régime qui s’en prend brutalement à différents groupes, à ses opposants. Il faut garder un prisme juridique », proteste Aymeric Elluin. Un prisme juridique qui pourrait peut être, un jour, juger la France ou certaines entreprises pour leur collaboration avec le régime al-Sissi.