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Entre les lignes, entre les mots
Comment les économistes dominants expliquent le chômage
Article mis en ligne le 31 juillet 2018
dernière modification le 30 juillet 2018

La prégnance du chômage doit être légitimée : c’est l’une des tâches imparties aux économistes mainstream. On propose ici un survol critique des théories dominantes, jusqu’à leur implosion récente.

Le chômage : impossible en théorie, inéluctable en pratique

Longtemps, les économistes ne se sont pas préoccupés du plein emploi. Le terme même de chômage est à peu près absent des traités d’Alfred Marshall (1842-1924) qui, durant de longues décennies, fut l’économiste de référence en Angleterre. Les conceptions de Marshall en sont restées à celles des auteurs du fameux rapport de 1834 sur la loi pour les pauvres [1], comme le montre bien une lettre adressée en 1903 à Percy Alden, où Marshall livre le fond de sa pensée [2]. Il y a, écrit-il, deux catégories de chômage. Le chômage occasionnel résulte des fluctuations économiques, mais ne se développe qu’en raison de « l’incapacité, de la part de personnes à l’intelligence limitée, à prévoir avec une parfaite précision les besoins et les opportunités économiques. » Il faudrait leur apprendre que « dépenser l’intégralité de son revenu en période de prospérité et se retrouver sans ressources lorsque la conjoncture se retourne, est incompatible avec le respect que chacun se doit à lui-même. »

Quant au chômage plus durable, il frappe des « personnes qui ne veulent pas ou ne peuvent pas travailler avec assiduité et en faisant tous leurs efforts, de telle sorte qu’ils ne peuvent être employés de façon régulière (...)

Le discours des économistes va progressivement incorporer une analyse moins moralisatrice mais tout aussi implacable. Dans le monde parfait de la libre concurrence, le chômage ne peut exister, ou alors seulement sous la forme d’un chômage « volontaire » fruit d’un arbitrage rationnel entre salaire et loisir. Leur principale recommandation consiste donc à préconiser l’élimination de tout ce qui faisait obstacle à l’équilibre entre l’offre et la demande sur le marché du travail. Ce marché n’est pas fondamentalement différent de celui de n’importe quelle autre marchandise, patate ou chaussette (...) Les instruments visant à réduire le chômage ont forcément des effets pervers. L’emploi public évince – comme on le dirait aujourd’hui – l’emploi privé. (...)

Enfin on retrouve – déjà – la sempiternelle dénonciation du salaire minimum : « Lorsque des considérations humanitaires conduisent à l’instauration d’un salaire minimum au-dessous duquel aucun travailleur ne sera embauché, l’existence d’un grand nombre de personnes ne valant pas ce salaire minimum est cause de chômage. » (...)

Cependant, même si toutes les recommandations étaient mises en œuvre, cela ne suffirait pas à « abolir le chômage » et c’est pourquoi il faut recourir à des « palliatifs », tels que l’assurance-chômage. Autrement dit, le chômage est un attribut indissociable d’une économie de marché : on peut seulement en limiter la portée et en « atténuer les conséquences néfastes ». (...)

Keynes découvre le chômage involontaire

C’est en 1929 qu’un économiste propose de changer radicalement de point de vue : « L’idée qu’il existerait une loi naturelle empêchant les hommes d’avoir un emploi, qu’il serait « imprudent » d’employer des hommes et qu’il serait financièrement « sain » de maintenir un dixième de la population dans l’oisiveté pour une durée indéterminée, est d’une incroyable absurdité. Personne ne saurait y croire s’il n’avait pas eu la tête bourrée de sornettes pendant des années ». Et le même économiste avance un raisonnement simple, que certains qualifieraient sans doute de simpliste : « Il y a des tâches à accomplir ; il y a des hommes pour le faire. Pourquoi ne pas faire correspondre les deux ? (…) Ce serait une folie que de rester assis en tirant sur sa pipe et d’expliquer aux chômeurs qu’il serait trop risqué de leur trouver du travail. » (...)

Keynes ne se satisfait pas non plus du « filet de sécurité » procuré par les indemnités versées aux chômeurs, parce qu’elles ne créent rien « sinon encore plus d’assistés ». La véritable sécurité, c’est pour lui « une honnête journée de travail pour un salaire décent. » Et le plein emploi (même s’il n’emploie pas le terme), ce n’est pas 5% de chômeurs : il faut réduire le chômage « au niveau que nous connaissons en temps de guerre (…) soit moins d’un pour cent de chômeurs. » Pour cela, l’Etat devra faire « tout ce qui peut être humainement fait. »

C’est pourquoi Keynes se déclarait en faveur de programmes de grands travaux publics et se souciait peu que leur taux de rendement soit « de 5%, 3%, ou 1% » : l’important étant de réduire le chômage, (...)

L’après-guerre sera marqué par le développement de l’Etat social en Europe, dont l’un des principaux inspirateurs est William Beveridge, auteur de deux célèbres rapports [8]. Le premier est consacré (en 1942) à la sécurité sociale ; le second, en 1944, traite du « plein emploi dans une société libre. » Dans le prologue à ce rapport, Beveridge signale d’emblée que le plein emploi « ne signifie pas qu’il n’y a pas de chômage » mais « qu’il y a plus de postes vacants pour les travailleurs que de travailleurs à la recherche d’un emploi. » Il subsistera toujours un taux de chômage frictionnel qu’il évalue à 3% de la population active dans le cas du Royaume-Uni.

La courbe de Phillips, ou le réglage fin du chômage (...)

Une synthèse impossible : le rapport McCracken

Le rapport McCracken publié par l’OCDE en juin 1977 porte un titre significatif (Pour le plein emploi et la stabilité des prix) et marque un double partage des eaux. Il intervient juste après la récession généralisée de 1974-75 qui marque la fin de « l’âge d’or » et au plus fort de l’offensive néo-libérale contre le keynésianisme. (...)

Le NAIRU, ou le chômage en équations

A partir du tournant néo-libéral des années 1980, une nouvelle conception du chômage s’impose : elle explique pourquoi le plein-emploi n’est ni possible ni souhaitable. Fondamentalement, cette théorie aujourd’hui dominante repose sur une reformulation de l’arbitrage entre inflation et chômage. Il existe un taux de chômage en dessous duquel l’inflation augmente, et cette hausse de l’inflation a des effets récessifs qui le ramènent à ce niveau incompressible. (...)

Sous l’inflation, le profit (...)