Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Basta !
Comment marchés financiers et multinationales accaparent aussi les mers et les océans
Article mis en ligne le 29 septembre 2014
dernière modification le 19 septembre 2014

Les terres agricoles ne sont pas les seules cibles de puissants intérêts privés, de grandes entreprises ou de gros investisseurs. Littoraux, mangroves ou récifs coralliens sont aussi convoités. Au nom de la défense de l’environnement et de la préservation de la biodiversité, la mise en place de quotas de pêche, de réserves naturelles maritimes ou d’élevages géants favorisent le contrôle des bords de mer et des eaux continentales par une poignée d’acteurs privés.

Aux dépens des communautés locales et des millions de petits pêcheurs qui vivent de la mer et voient leurs droits et leurs cultures bafoués. Un nouveau rapport lève le voile sur cet accaparement des mers.

Mais comment donc des intérêts privés peuvent-ils accaparer les océans ? Il ne s’agit pas – encore – de ses fonds marins, mais de ses ressources dont dépendent 800 millions de personnes, habitant les littoraux et vivant de la pêche. Rivages côtiers et eaux continentales, estuaires, lagunes, deltas, zones humides, mangroves, ou encore récifs coralliens, sont concernés. Comment se traduit cet appropriation d’un bien commun ? Un rapport, intitulé « l’accaparement global des océans » vient d’être publié par des organisations internationales, en collaboration avec le Forum mondial des peuples de pêcheurs. [1] Il pointe les nouveaux maux qui menacent la vie des communautés des bords de mer, du Chili à la Thaïlande en passant par l’Europe du Nord ou les côtes africaines.

Ces maux ont pour nom quotas de pêche, conservation du littoral ou aquaculture. Derrière l’argument environnemental et l’impératif écologique, ces nouvelles réglementations contribuent à déposséder les populations de leurs moyens de subsistance, de leurs modes de vie, voire de leurs identités culturelles, au profit des logiques de marché, de l’industrie de la pêche et de gros intérêts privés. Un accaparement qui a aussi des conséquences sur notre manière de nous nourrir. (...)

En Afrique du Sud par exemple, la politique des quotas individuels mise en place en 2005 a entraîné une exclusion du jour au lendemain de 90 % des 50 000 pêcheurs artisanaux du pays. Ces derniers sont devenus des pêcheurs « locataires » contraints de payer des sommes « exorbitantes » auprès de « quelques propriétaires des milieux aquatiques ou pêcheurs à cols blancs qui possèdent et assurent l’allocation des quotas », fustige le rapport. (...)

En Islande, les dix plus grandes sociétés de pêche détenaient plus de 50% des quotas en 2007. Au Chili, quatre entreprises contrôlent 90% des quotas [4]. Les conséquences sur les pêcheurs artisanaux sont immédiates. Au Danemark, la flotte des pêcheurs artisanaux s’est effondrée en 2005. Ce processus pourrait être accéléré par le Partenariat mondial pour les océans, initié en 2012 par la Banque mondiale, qui vise à privatiser les régimes de droits de propriété sur les ressources halieutiques.
Les autochtones exclus de la conservation du patrimoine marin

La création de « zones de protection marine », telles que les sanctuaires côtiers ou les réserves, participe au phénomène d’accaparement des mers. L’accès à ces zones est interdit ou restreint pour les pêcheurs artisanaux dans un but de « conservation » de la nature. C’est ce qui s’est passé en Tanzanie par exemple, avec la création du parc marin de l’île de Mafia. (...)

Des zones côtières sont également privatisées. En Ouganda, le gouvernement a alloué une partie des terres côtières du lac Victoria à des investisseurs dans le tourisme et l’aquaculture. (...)

Vers la financiarisation des océans

Industries et grandes entreprises ne lorgnent plus seulement sur l’immense stock potentiel de carbone des forêts humides (notre précédente enquête). Des forêts de mangrove sont elles-aussi transformées en zones protégées pour « compenser » les émissions de gaz à effet de serre des entreprises polluantes, comme Rio Tinto à Madagascar par exemple [6]. Ces projets, portés par des ONG de conservation, s’inscrivent dans le programme « Initiative Carbone Bleu » appuyé par l’Onu [7]. « Ce programme vise à financiariser le carbone stocké, séquestré ou libéré des écosystèmes côtiers ou marais salés, des mangroves et des herbiers marins », souligne le rapport. De l’Indonésie aux États-Unis en passant par le Sénégal, l’Union internationale de conservation de la nature a commencé à évaluer les stocks de carbone des écosystèmes marins.

La Banque mondiale s’emploie, elle, à développer des « obligations bleues » proposées sur les marchés financiers. Les investisseurs connaissent déjà les « obligations vertes » dont la valeur est estimée à 40 milliards d’euros en 2014 [8]. Soixante obligations vertes ont ainsi été émises par la Banque mondiale pour financer, explique t-elle, des « projets sobres en carbone susceptibles de contribuer à l’adaptation au changement climatique ». Elle envisage aujourd’hui d’étendre le financement de la protection des océans par le biais de ses nouvelles « obligations bleues ». La Banque mondiale fait valoir que « le capital financier à grande échelle et le secteur privé sont essentiels pour parvenir à une meilleure protection et une meilleure gouvernance des ressources marines ». On y croit très fort. (...)

Quand les poissons d’élevage menacent les poissons sauvages

Les multinationales de pêche telles que Marine Harvest en Norvège, Nippon Suisan Kaisha au Japon et Pescanova en Espagne, de même que les grands détaillants comme Walmart ou Carrefour, contrôlent une grande partie du marché aquacole. Au cours des vingt dernières années, la contribution globale de l’aquaculture à la production mondiale de poissons pour la consommation directe est passée de 10 à 50%. Si cela permet de préserver un peu les ressources sauvages, la production commerciale est centrée sur l’élevage de 25 espèces – principalement le saumon, les carpes, les tilapias, le pangasius, les palourdes et les crevettes. Mais le déversement incontrôlé de ces espèces non-indigènes dans les eaux douces ou les océans perturbe les écosystèmes locaux et régionaux.
(...)

Les auteurs du rapport appellent à ce que la question de la pêche artisanale soit traitée « comme une affaire de droits de l’Homme plutôt qu’une question purement économique ». Face à la perte des droits d’accès des petits pêcheurs, le rapport relève l’existence des « droits territoriaux d’exploitation par les pêcheurs ». Ces droits sont déjà inscrits dans les législations de la pêche de plusieurs pays, comme en Afrique du Sud par exemple. Là, des zones prioritaires ont été définies pour les pêcheurs artisanaux accompagnées d’une série de mesures adaptées aux pratiques de pêches locales. La taille des bateaux comme celle des engins ont notamment été limitées.

Les formes de luttes sont diverses face à des menaces elles-aussi très variées. La construction des grands bassins aquacoles, d’industries extractives ou de grands projets hydroélectriques concourent à saper les écosystèmes. (...)

Face à la menace que l’accaparement des mers fait planer sur la sécurité alimentaire, la résistance s’organise en faveur de droits collectifs pour les pêcheurs.