
Du rituel social à l’expérience sensorielle, un ouvrage collectif explore les diverses modalités de l’entrée en guerre.
Il y a quelque chose de fascinant dans l’entrée en guerre. Le titre de l’exposition de la BNF, « 1914, les derniers jours de l’ancien monde », suscitait l’image d’un univers qui allait bientôt disparaître dans le chaos des massacres de masse. Comment passe-t-on d’un « ancien monde » au monde de la guerre, telle est la question que posent les deux coordinatrices du volume Entrer en guerre , Carine Trevisan et Hélène Baty-Delalande.
La première est connue pour ses travaux sur les récits de la Première Guerre mondiale, notamment ses Fables du deuil : la Grande guerre, mort et écriture (PUF, 2001), la seconde pour son livre sur Roger Martin du Gard (Une politique intérieure, la question de l’engagement chez Roger Martin du Gard, Champion, 2010) ; l’avant-dernier volume des Thibault s’intitule, on s’en souvient, L’Été 1914 (1936). Elles réunissent dans ce volume vingt et un textes issus d’un colloque qui s’est tenu à l’Université Paris-Diderot Paris 7 en novembre 2014 dans un contexte de manifestations scientifiques consacrées au centenaire du début de la Première Guerre mondiale. La diversité des auteurs n’empêche pas une vraie unité d’écriture du livre, ce qui témoigne d’un minutieux travail d’édition dont il faut tout d’abord saluer la qualité. (...)
On entre en effet dans la guerre par des « rituels » sociaux et institutionnels étudiés dans la première partie, mais aussi par l’imaginaire, les émotions, les images (visuelles) autant que poétiques… puis on s’y installe par la presse, qui est l’objet de plusieurs articles passionnants. Cette dernière permet de « socialiser » cette expérience, en rendant compréhensible et acceptable l’affrontement qui intervient initialement comme une rupture de sens au sein d’une communauté humaine (comme le montre Severiano Rojo Hernandez à propos de la presse basque antifasciste des années 1936-1937). Les « journaux de tranchées » conçus, édités et produits par des soldats pour leurs camarades dès l’automne 1914 permettent de passer d’une guerre imaginée à l’évocation du conflit réel, bien que ce dernier y fasse l’objet d’une reconstruction mentale et que les textes publiés dans ces journaux ne soient donc guère plus fiables que des témoignages plus tardifs (article d’Alice Laroche). La Gazette des classes du Conservatoire envisage, quant à elle, des récits de guerre écrits et destinés à une catégorie particulière de la population, les élèves musiciens du Conservatoire national de Paris : leurs auteurs, brancardiers sur le front, ont intégré la déconsidération attachée à leur fonction dans le monde combattant (les brancardiers ne combattent pas) et n’osent plus, en 1915, parler d’une entrée en guerre qu’ils imaginent être parfaitement connue. David Mastin montre comment, passé le choc physique et social, puis le sentiment de déshumanisation éprouvé par le jeune compositeur et futur professeur Jacques de la Presle, ce dernier se remet à composer et déploie ainsi – comme d’autres dans son cas – une véritable stratégie professionnelle de reconquête de l’espace de l’arrière à plus ou moins long terme (...)