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Comment sauver une oasis menacée par la pollution et la sécheresse : en la gérant à la manière d’un bien commun
Article mis en ligne le 23 juillet 2015
dernière modification le 20 juillet 2015

L’oasis de Chenini, dans le sud de la Tunisie, était un petit paradis. A l’ombre des palmiers, arbres fruitiers et cultures maraichères proliféraient, arrosés par de multiples sources d’eau. Mais l’urbanisation et l’installation d’une usine de transformation de phosphates, à quelques kilomètres de là, menacent la survie de l’oasis. Face à cette situation, des citoyens ont entrepris de sauvegarder leur patrimoine, en créant un système de partage d’eau, en reboisant, en installant une maison de semences ou un atelier de transformation des produits locaux. Et en lançant un programme de soutien à l’installation de petits paysans. Bref, en le gérant à la manière des biens communs. Reportage.

Elle est surnommée « le paradis du monde ». Et est même inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco [1]. L’oasis de Gabès, à 400 kilomètres au Sud de Tunis, demeure la seule oasis littorale au bord de la Méditerranée. « Ici, le palmier embrasse la mer », indique Mabrouk Jabri, instituteur à la retraite qui a grandi à Chenini, une ville au cœur de l’oasis. Son écosystème est fondé sur la « culture en étages ». « Les cultures maraichères sont au sol, les arbres fruitiers au dessus, et les palmiers dattiers qui les entourent constituent un feuillage en forme de parasol », explique Mabrouk.

Cet îlot vert crée un véritable micro-climat en pleine zone désertique. « Quand j’étais plus jeune, il y avait de la verdure, de l’eau, des fruits, une faune et une flore riches, se souvient l’ancien instituteur. L’oasis était un lieu de vie où les habitants cultivaient leur lopin de terre. » Non seulement ces cultures alimentaient en fruits la région de Gabès. Mais l’oasis exportait sa production vers les villes de Djerba et de Medénine, plus au sud, et Sfax, au nord. (...)

Cette oasis est aujourd’hui menacée. « Les sources naturelles d’eau ont tari ces dernières années, déplore Mabrouk. Or, sans eau on ne peut rien faire. » Il pointe du doigt plusieurs phénomènes : la présence d’une usine de transformation de phosphates fortement consommatrice d’eau, mais aussi l’urbanisation accélérée, l’augmentation de la population et les dérèglements climatiques. « On bénéficiait autrefois de 750 litres d’eau seconde qui sortaient du sous-sol de l’oasis pour irriguer les plantations. Nous ne sommes plus maintenant qu’à 150 litres seconde par pompage. »
Des « tours d’eau » contre la pénurie

Le « tour d’eau », un système d’irrigation par inondation, est l’une des spécificités de l’oasis. Des canaux creusés dans la terre ou cimentés alimentent en eau, tour à tour, les parcelles qui se retrouvent totalement submergées pendant plusieurs heures. (...)

Les conseils de Pierre Rabhi

Face aux dangers, les habitants de Chenini réagissent. Dès 1992, ils lancent un programme de réhabilitation de l’oasis. « Sous Ben Ali, monter une association était difficile, se remémore Mabrouk. Mais Pierre Rabhi est venu nous conseiller sur des actions à mettre en place. » (lire notre entretien). Trois ans plus tard, l’Association de sauvegarde de l’oasis de Chenini (Asoc) est créée. L’un de ses membres, Skandar Rejeb, nous conduit à Ras El Oued, le secteur amont de l’oasis de Chenini parmi les plus touchés par cette dégradation. Gagnant les hauteurs de la ville, une palmeraie se dévoile en contrebas. Entre les habitats troglodytes se fondant dans les cavités rocheuses, on devine le chemin emprunté par l’eau il y a quelques années. (...)

Alors que « l’oued » – une petite rivière – a bien cessé de couler, le projet de l’Asoc est de réhabiliter l’ancien circuit d’irrigation sur un kilomètre et d’aménager un sentier touristique le long de celui-ci. Pour ce faire, l’association a construit des retenues d’eau de manière à relever le niveau des nappes phréatiques. « Notre association veut faire de ce site, à travers sa réhabilitation, une destination de tourisme solidaire », explique Skandar. A quelques mètres de là, Moncef construit justement son petit restaurant de grillades et plats traditionnels. Son objectif est d’ouvrir dans les mois qui arrivent.
Miser sur l’agroécologie et le tourisme solidaire

Si l’Asoc mise sur le tourisme, son objectif est aussi de faire revenir les paysans. Construction de murs en pierres sèches, plantations de mûriers, de henné, de grenadiers, de caroubiers, et transformation des fruits en produits à commercialiser... Plusieurs chantiers menés par l’association sont en cours sur l’oasis afin de restaurer sept hectares de terrain. « Ce que l’on souhaite c’est faire revenir les jeunes vers les métiers de la petite agriculture », appuie Skandar. Les jeunes membres de l’association espèrent installer une centaine de paysans certifiés en agriculture biologique. Plusieurs formations ont été initiées pour éviter le recours aux engrais chimiques. Tout un symbole alors qu’à quelques kilomètres de là, le Groupe chimique tunisien transforme des milliers de tonnes de phosphate en engrais artificiels qui seront ensuite déversés dans les champs du monde entier.

Face à la disparition progressive de certaines espèces d’arbres et des semences adaptées à un climat aride, l’association a également relancé depuis 2007 un jardin de la biodiversité sur un demi-hectare. (...)