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Dans les prisons norvégiennes, des surveillants « travailleurs sociaux » avant d’être gardiens
Article mis en ligne le 6 novembre 2019
dernière modification le 5 novembre 2019

En Norvège, les gardiens de prison ne sont pas exclusivement affectés à des tâches sécuritaires. Leur rôle, au contraire, privilégie la proximité avec les détenus. Récit, en partenariat avec Hesamag.

Seuls 25 détenus se côtoient dans la petite prison de Sarpsborg, au sud de la Norvège. Si les barbelés et les caméras à l’entrée signalent bien un établissement de haute sécurité, l’ambiance à l’intérieur semble plutôt détendue. Peu avant l’heure du déjeuner, quelques prisonniers parcourent les couloirs pour achever leurs tâches de la matinée. L’un s’occupe du ménage, l’autre du linge, tandis que cinq autres travaillent à l’atelier.

Tom, l’un des nombreux gardiens de l’endroit, n’a aucune réticence à se promener au milieu des détenus. Sourires, blagues et accolades sont de mise. « Lui c’est quelqu’un de bien ! Je peux lui parler quand je veux », s’exclame l’un des pensionnaires de l’établissement au passage du gardien. « Quand je suis rentrée dans le monde carcéral, nous n’étions pas supposés avoir des contacts avec les prisonniers, se rappelle Lena, dans le métier depuis 30 ans. Mais cela a changé dans les années 1990, et désormais nous prenons le temps de nous asseoir avec eux, de discuter. »
Une approche fondée sur la proximité et les relations humaines (...)

Cette nouvelle proximité entre gardiens et prisonniers n’a pas pu s’imposer partout. Mais quand de nouvelles prisons ont été construites, comme celle de Bergen en 1990, l’architecture a été pensée pour permettre un autre type de relation. « Chaque bloc accueille 6 à 8 détenus, et il y a des espaces communs qui permettent aux gardes de passer du temps avec les prisonniers », poursuit la chercheuse.
« Ce sont les seules personnes de l’extérieur avec qui je peux parler »

Cette organisation de l’espace a facilité la mise en place d’un nouveau concept : la sécurité dynamique. Selon cette idée, les gardes doivent se mélanger aux prisonniers le plus possible. Ils mangent avec eux, fument une cigarette en leur compagnie dans la cour... Pour Asle Aase, dirigeant du syndicat norvégien du personnel pénitencier et des agents de probation, c’est idéal pour éviter les débordements : « Si j’apprends à connaître une personne, cela réduit le risque qu’elle se retourne contre moi. Par ailleurs en cas de problème, un détenu peut se transformer en allié. »

Depuis les années 1990, chaque garde se voit également assigner deux ou trois prisonniers, pour qui il est « l’officier de contact ». « Nous discutons avec eux de leurs objectifs, de ce qu’ils veulent accomplir pendant leur séjour carcéral, précise Asle. Nous les dirigeons en conséquence vers une formation ou un emploi. Et dès qu’ils ont un problème ils peuvent s’adresser à nous. »

L’accessibilité des gardiens est appréciée par Klaus, enfermé à Sarpsborg depuis sept mois : « Ce sont les seules personnes de l’extérieur avec qui je peux parler, souligne ce Danois en attente de jugement pour trafic de drogue. Si j’ai besoin de quoi que ce soit, comme envoyer des fleurs à ma femme, je peux aller les voir. »
Deux ans de formation, incluant sociologie et éthique (...)

Des salaires modestes, mais un travail varié

Toutefois, le syndicat d’Asle réclame une troisième année de formation pour tous les officiers de prison. Leur revendication a été partiellement entendue puisque 35 étudiants viennent tout juste d’intégrer un nouveau programme en trois ans. Parmi la liste des spécialisations disponibles on trouve, par exemple, « Approches structurées pour appuyer la lutte contre la criminalité – Interventions, historique et aspects critiques ».

Les gardiens ont en outre la possibilité de retourner sur les bancs de l’école tout au long de leur carrière. Un large catalogue de formations est à leur disposition. (...)

« La vie en prison doit ressembler autant que possible à la vie à l’extérieur »

Pourtant, l’offre d’activités pour les détenus reste assez limitée à Sarspborg. Entre quatre et six d’entre eux peuvent travailler dans un atelier de conditionnement. Quant aux autres, ils suivent éventuellement des cours d’anglais ou de cuisine. La majorité des détenus étant en préventive, aucune véritable formation n’est disponible. Ils passent donc beaucoup de temps dans leurs cellules, où ils prennent la majeure partie de leurs repas.

Le soir les détenus se retrouvent dans la petite salle commune pour manger, faire des jeux ou encore de la musique. Klaus apprécie la vie ici, mais s’il est condamné, il aimerait être transféré à la prison d’Halden. « Ils y ont des meilleures formations, et plus de possibilités d’emploi », précise-t-il.

Ouverte en 2010, la prison d’Halden est assez emblématique de la nouvelle politique pénitentiaire norvégienne introduite dans les années 1990. Comme dans toutes les prisons du pays, chaque détenu y a sa propre cellule. À Halden, chaque cellule a aussi sa propre douche. « La vie en prison doit ressembler autant que possible à la vie à l’extérieur », peut-on lire sur le site de l’administration des services correctionnels. « Si c’est trop différent, le retour à la vie normale sera difficile, explique Asle. Nous devons faciliter la transition. »
Un taux d’occupation de 92%, contre 116,5% en France (...)

Un modèle menacé

Mais la politique carcérale subit à nouveau des changements. Pour la coalition de droite au pouvoir depuis 2013, la priorité est aux économies. Depuis 2015, le budget des services pénitentiaires et correctionnels est amputé de trois à quatre millions d’euros chaque année. « Ils disent qu’ils veulent réduire la bureaucratie, mais dans les faits ce rationnement budgétaire conduit principalement à une réduction du personnel dans les prisons, regrette Asle. Si nous n’avons pas assez de gardes, nous devons nous concentrer sur les aspects sécuritaires, et nous ne pouvons plus organiser de programmes éducatifs, par exemple. »

En l’absence de personnel suffisant, les prisonniers sont aussi contraints de passer plus de temps dans leurs cellules. Or, la Norvège s’est déjà fait épingler par le Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe sur le sujet de l’isolement. Suite à une visite au printemps 2018, le comité a constaté que de nombreux détenus norvégiens passaient encore 22 heures par jour dans leur cellule, pour des périodes prolongées et quasiment sans contact avec le personnel.

« C’est un vrai problème, avoue Asle. Les détenus en isolement sont de véritables bombes à retardement. » (...)