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Dans les quartiers populaires, imaginer le « monde d’après », n’en déplaise aux plus sincères, reste un luxe
par Collectif 5 mai 2020
Article mis en ligne le 6 mai 2020
dernière modification le 5 mai 2020

« Dans les quartiers populaires, pour rêver de l’après, il faudrait déjà que le présent soit décent », écrivent, dans cette tribune, Mohamed Mechmache, du collectif « Pas Sans Nous », et plusieurs chercheurs travaillant sur ces territoires délaissés. Plutôt que de multiplier les mesures d’exception, ils appellent à reconnaître le pouvoir d’agir des habitants et à les associer à la construction d’un futur commun.

Nous y sommes.
Certains étaient sûrs qu’il arriverait. D’autres l’espéraient sans trop y croire. D’autres encore se sont découverts un nouvel horizon. Mais personne ne s’attendait à ce que finalement, cela se produise si vite. Le Covid 19 a tout balayé, emporté. Et le « monde d’après » est apparu. Évident. Incontournable. Indispensable.
Saturant l’espace médiatique, des dizaines d’interviews, d’appels et autres manifestes proposent, planifient, décrivent ce qui ne doit plus être et ce qui sera.
Nous y serions.

Non.
Nous n’y sommes pas encore. Pas du tout.
Car imaginer le « monde d’après », n’en déplaise malheureusement aux plus sincères, reste un luxe. Un luxe que ne peuvent se permettre ceux pour qui la brutalité du monde d’aujourd’hui est une réalité à laquelle il est impossible d’échapper. Un luxe encore pour celles et ceux qui peuvent télétravailler pendant que d’autres ont l’obligation d’aller travailler chaque matin, la peur au ventre de contracter le virus. (...)

Coronavirus ou pas, le futur n’est ici jamais vraiment palpable et l’horizon précisément souvent indépassable.

« Un monde peuplé de promesses, plans et engagements restés lettres mortes » (...)

Tous les manifestes et autres appels ne changeront pas son monde qui est le même depuis près un demi-siècle, peuplé de promesses, plans et engagements restés lettres mortes. Oubliée, la marche pour l’égalité et contre le racisme en 1983, ignorés les cahiers de doléance réunis suites aux révoltes sociales de 2005, enterré le rapport Bacqué-Mechmache en 2013, méprisé le rapport Borloo en 2018.

D’occasions perdues en rendez-vous manqués, la liste est trop longue pour croire au hasard, pour ne pas y voir le refus de changer l’histoire. Une histoire que le Covid 19 est venu tragiquement rappeler à notre mémoire, dans un moment où précisément, et plus que tout autre auparavant, nos pensées étaient ailleurs. Dans une France pétrifiée par la brutalité de la pandémie et sidérée par un confinement inédit, la double injonction à rester chez soi et penser le « monde d’après » a largement accaparé les esprits. (...)

« La crise sanitaire a créé une nouvelle injustice : celle d’être privée du droit de s’alimenter » (...)

Comment dans ces conditions, comme le raconte Le Monde, cette mère de quatre enfants, dont le salaire ne suffit plus à financer l’achat de denrées pour nourrir les siens aurait-elle le temps de songer à l’après Covid 19 ? (...)

aucun soleil ne se lèvera sur des nouveaux matins enchantés sans les quartiers et surtout, sans leurs habitants. Les associations locales, celles qui chaque jour tentent de colmater les trous béants laissés par des années d’errance de politiques de la ville, ne cessent pourtant de le répéter : ici, la population est force de propositions. Mais les pouvoirs publics, loin de s’appuyer sur les énergies locales, préfèrent parachuter des experts hors sol et des plans exceptionnels, médiatiquement mis en scène. En ce mois d’avril 2020, une nouvelle fois, la réponse politique à la détresse alimentaire vécue pendant le confinement est donc passée par l’exceptionnel, sous forme d’une aide d’urgence de 39 millions d’euros. Une preuve supplémentaire que pour les banlieues, tout est donc toujours affaire d’exception. A chaque crise, son cortège de mesures exceptionnelles, ou dans sa version sécuritaire, des lois d’exception, à l‘image des tristes couvre-feux de 2005.

Combien de temps faudra-t-il encore pour que ces territoires bénéficient des mêmes droits que les autres et ne soient plus soumis à cette politique de l’exception ? Mais surtout, comment imaginer que les quartiers puissent trouver leur place dans le « monde d’après » alors même que celui d’aujourd’hui ne leur en offre aucune ? (...)

Pour ne pas l’avoir entendu, les politiques de la villes successives se sont heurtées à l’incompréhension des populations lassées de ne jamais être associées aux décisions les concernant.

Pendant des décennies, l’État a ainsi pensé résorber, selon l’expression consacrée, « la crise des banlieues », en détruisant barres et tours, en réhabilitant à coups d’urbanisme grossier, les quartiers. Les habitants eux n’ont été que spectateurs d’un univers, le leur, que l’on bouleversait. De pans entiers de souvenirs personnels s’écroulaient, disparaissant dans les décombres de démolitions à grand spectacle. C’est la notion même de l’Habiter qui était nié, balayant les liens et l’attachement aux lieux de vie.
A quelques jours de la fin du confinement, tous les « mondes d’après » ne vaudront rien sans penser à réhabiliter l’Habiter dans les quartiers et permettre aux habitants de retrouver une fierté d’être, d’être enfin partie prenante d’une histoire sur un temps long.

« Le temps perdu qu’on ne rattrape plus » chantait un célèbre groupe de rock des années 80.
Pour les quartiers, ne le perdons pas davantage à imaginer l’après, prenons soin maintenant du présent... avec les habitants.