
Un hôpital désaffecté est devenu un lieu d’occupation « éphémère ». Ressourcerie, manufacture, café, cantine solidaire, foyer de migrants, centre d’hébergement d’urgence et de réinsertion… un millier de personnes, résidents, locataires, travailleurs et étudiants y vivent et y travaillent dans une ambiance villageoise.
Le long du boulevard, l’imposante enceinte du XIXe siècle est surmontée de parpaings. Puis, le pan de mur rafistolé laisse place à une large entrée, autrefois destinée aux ambulances. Un panneau nous invite à emprunter le couloir piétons. Sur sa longueur, la liste des structures hébergées sur place a remplacé celle des anciens services hospitaliers. L’ex-hôpital Saint-Vincent-de-Paul, encore l’une des plus grandes maternités de Paris il y a quelques années, est désormais un « lieu d’occupation éphémère ». Bienvenue aux Grands Voisins.
À peine a-t-on fait quelques pas que, sur la droite, la Ressourcerie créative invite à chiner dans un empilement de meubles, de vêtements et de bibelots à prix modestes. En face, les cheminées de l’ancienne chaufferie attirent l’œil vers ce qui a été transformé en un ensemble de salles de réunion. Sur la gauche, la Manufacture Pasteur occupe une halle façon XIXe avec des ateliers d’artisans. La signalétique, d’un jaune ensoleillé qui tranche avec le gris de l’hiver, invite le visiteur à se diriger vers la Lingerie. La grande maison à arcades est devenue un café-restaurant chaleureux.
Il faut s’avancer dans l’entrelacs de bâtiments pour s’apercevoir que certains sont mieux entretenus que d’autres : c’est là que se trouvent les centres d’hébergement d’urgence, ainsi que le foyer de travailleurs migrants. Certains sont vides en raison de leur vétusté. Les plus anciens datent du XVIIe siècle, les plus récents des années 1970. Ces édifices hétéroclites reflètent la diversité des populations qui s’y croisent en ce samedi après-midi : un migrant passe tête baissée, une famille déambule, de jeunes Parisiens élégamment habillés fument devant l’un des ateliers, des vieux se promènent entre deux ondées.
Occuper une « faille temporelle dans le marché de l’immobilier »
Les derniers services de l’hôpital ont fermé fin 2011. Bientôt, tout sera détruit ou réaménagé pour devenir un écoquartier, mais les travaux commenceront au mieux mi-2017, plus probablement à partir de 2018. Alors, en attendant, l’AP-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Paris) a confié la gestion des locaux à l’association Aurore. (...)
L’association occupe des « failles temporelles dans le marché de l’immobilier », explique son vice-président Paul Citron autour d’un café, à un coin de la grande table de la Lingerie. « Il y a l’équivalent de 44 Tours Montparnasse de bureaux vides à Paris », affirme-t-il. Entre la fin d’une occupation et le début des travaux, beaucoup de bâtiments restent inoccupés plusieurs années. Alors, Plateau urbain propose aux propriétaires de les occuper temporairement : « On leur explique qu’on est une assurance antisquat. Le prix d’un maître chien présent 24 heures sur 24, c’est 17.000 euros par mois. L’adhésion à notre association coûte 10.000 euros. Ensuite, on calcule le coût des taxes, de l’eau, de l’énergie pour occuper les bâtiments, on évalue le nombre de mètres carrés utilisables, et on divise. Cela donne le prix de la location de bureaux. Ici, c’est 17 euros du mètre carré par mois, soit deux fois moins que la moyenne du marché. » (...)
Entreprises de l’économie sociale et solidaire, start-up, associations, artisans et artistes forment le contingent du recrutement. Deux critères : la diversité et des structures « qui ne pourraient pas se payer un lieu de travail au prix du marché ». Deux conditions : accepter de remettre en état soi-même son espace de travail et participer à l’animation du lieu. En tout, près d’une quarantaine d’entreprises et associations, soit environ 150 salariés, se sont installées au cours des derniers mois à Saint-Vincent-de-Paul. (...)
« Ici, c’est un laboratoire pour repenser la ville, poursuit Sébastien. Il y a plein de gens de tous les horizons, on se demande comment faire pour qu’ils se croisent, et une équipe s’y consacre. Alors que dans les quartiers, d’habitude, qui s’en occupe ? Les politiques ne s’y intéressent pas forcément. » « On verra dans un an ce que ça donne », relativise William. Mais l’enjeu est de taille : « On doit convaincre les pouvoirs publics que cela fonctionne et que ça vaut le coup d’être dupliqué. On prospecte déjà d’autres sites : d’anciens locaux de La Poste, de la SNCF ou de l’armée », confie le directeur.