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De COP en COP, le cataclysme se rapproche
Article mis en ligne le 3 décembre 2019
dernière modification le 2 décembre 2019

La 25e Conférence des parties à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP25) débutera dans quelques jours à Madrid (ndlr : le lundi 2 décembre 2019). Ce sommet devait initialement se tenir à Santiago mais le président chilien a préféré renoncer. Les COP rassemblent couramment 10.000 personnes : il fallait éviter qu’elles puissent témoigner de la sauvage répression policière du soulèvement contre la politique ultra-libérale du gouvernement Piñera.

Pour rappel, la Convention cadre des Nations Unies a été adoptée lors du sommet de la Terre à Rio, en 1992. Elle fixe pour objectif aux États d’empêcher « une perturbation anthropique dangereuse » du climat de la Terre. Le suivi de cet engagement est censé être assuré par les Conférences des parties (COP), qui se réunissent annuellement depuis 1995. Celle de Madrid sera donc la vingt-cinquième.
Un bilan négatif de A à Z

Le bilan de ce processus est négatif de A à Z. De la COP1 à la COP24, les gouvernements se sont surtout évertués à trouver des moyens de ne pas réduire leurs émissions, ou de les faire réduire par d’autres, ou de faire semblant de les réduire en les délocalisant, ou d’obtenir de nouveaux marchés pour compensation de leur engagement à les réduire à dose homéopathique, ou de faire adopter l’idée absurde que ne pas abattre un arbre équivaut le fait de ne pas brûler de combustibles fossiles.

Le résultat de ces gesticulations est que les rejets annuels du principal gaz à effet de serre, le CO2, sont plus de 60 % supérieures au niveau de 1990 et augmentent encore plus vite aujourd’hui qu’au 20e siècle. Par voie de conséquence, la concentration atmosphérique en CO2, qui était de 350 ppm [1] en 1990, est de 415 ppm actuellement. Ce niveau est sans précédent depuis le Pliocène, il y a 1,8 millions d’années. À cette époque, le niveau des océans était 20 à 30 mètres plus élevé qu’aujourd’hui…
Crime contre l’humanité et la nature

Le texte adopté à Rio ne définissait pas le niveau de la « perturbation anthropique dangereuse ». Cette lacune majeure résultait des pressions des multinationales du pétrole, du charbon et du gaz, ainsi que des nombreux secteurs de l’économie capitaliste qui dépendent directement de ces sources fossiles d’énergie (automobile, pétrochimie, construction navale et aéronautique, etc.). Fidèlement relayés par les États à leur service, les grands groupes pétroliers et charbonniers ont en plus versé des millions de dollars à de pseudo-scientifiques chargés de répandre de grossiers mensonges climato-négationnistes dans l’opinion.

Depuis 1992, tout a été mis en œuvre, sans le moindre scrupule, pour exploiter les réserves fossiles le plus longtemps possible et éviter ainsi l’éclatement d’une « bulle de carbone ». Les responsables de ces manœuvres, et leurs complices politiques, devraient être traduits en justice et condamnés pour crimes contre l’humanité et contre la nature.
Maximum 2°C ou 1,5°C ? (...)

Le rapport spécial du GIEC sorti en octobre 2018 ne laisse aucun doute [2] : contrairement à ce que les grands médias et les politiques nous serinent depuis plus de vingt ans, un réchauffement de 2°C serait beaucoup trop dangereux pour les non-humains et pour les humains. Un exemple parmi d’autres : la calotte glaciaire du Groenland contient une quantité de glace suffisante pour faire monter le niveau des mers de 7 mètres. Or, les spécialistes estiment que le point de non retour de sa dislocation se situe quelque part entre 1,5°C et 2°C de réchauffement…
Le spectre de la « planète étuve »

Il n’y a aucun congélateur où mettre le globe pour le refroidir. Autrement dit, une fois enclenchée, la dislocation du Groenland (ou de toute autre calotte glaciaire) sera impossible à arrêter avant que soit atteint un nouvel équilibre énergétique du système Terre. Dans l’intervalle, cette dislocation risque de provoquer un enchaînement de « rétroactions positives » [3] : transformation de l’Amazonie en savane, dislocation de glaciers géants de l’Antarctique [4], fonte irréversible du pergélisol… Un gigantesque effet domino climatique pourrait déboucher rapidement sur une hausse de 4 à 5°C de la température moyenne de surface de la Terre.

Les spécialistes craignent que cet emballement du réchauffement pousse le globe hors du régime relativement stable au sein duquel il oscille depuis 1,5 millions d’années (alternance de périodes glaciaires et interglaciaires). La Terre entrerait alors dans un nouveau régime, analogue à celui du Pliocène : la « planète étuve ». Il est impossible de se représenter un tel basculement mais une chose est absolument certaine : si notre espèce y survit, ce ne sera pas avec une population de sept ou huit milliards d’individus, et les pauvres seront à coup sûr les principales victimes du cataclysme – la principale « variable d’ajustement » (air connu)… L’immonde politique inhumaine à l’égard des migrant·e·s permet à chacun·e d’imaginer les contours de cette barbarie qui vient.
Rester sous 1,5°C, est-ce encore possible ? (...)

Ce n’est, hélas, pas certain. Pas certain du tout !

Le rapport 1,5°C du GIEC propose quatre scénarios indicatifs de stabilisation au-dessous du seuil de dangerosité (avec seulement une chance sur deux de succès ! ) [5]. Trois de ces quatre scénarios sont à rejeter. En effet, ils sont basés sur l’idée insensée d’un « dépassement temporaire » du 1,5°C suivi d’un refroidissement ultérieur réalisé grâce au déploiement de certaines technologies.

Dites « à émissions négatives », ces technologies sont censées retirer du carbone de l’atmosphère. Or, à supposer qu’elles fonctionnent (et à une échelle suffisante !) [6], à supposer aussi que le carbone retiré de l’atmosphère puisse être stocké en des lieux sûrs, d’où il ne s’échappera pas, la situation est à ce point tendue que le risque est réel de voir le « dépassement temporaire » provoquer des accidents irréversibles. (...)

Le quatrième scénario permettrait de rester sous 1,5°C sans « dépassement temporaire », donc sans « technologies à émissions négatives ». Il implique une réduction draconienne des émissions mondiales nettes de CO2 : -58 % d’ici 2030, -100 % d’ici 2050, émissions négatives entre 2050 et 2100. [7]

Ce scénario ne peut être accepté en l’état, car il implique (comme les autres) un fort développement de la part de l’énergie nucléaire (+50 % en 2030, +150 % en 2050, soit environ 200 centrales supplémentaires, avec à la clé une augmentation considérable du risque de conflit nucléaire ). On peut cependant en déduire que la décrue requise des émissions ne peut être accomplie sans une forte diminution de la consommation mondiale d’énergie (de l’ordre de 20 % en 2030 et de 40 % en 2050, voire davantage) et que cette diminution à son tour est inaccessible sans décroissance significative de la production et des transports [8].
Urgence d’un plan d’urgence

Il est trop tard pour éviter la catastrophe : elle grandit autour de nous. (...)

Le bon sens le plus élémentaire – ou plutôt, l’instinct de survie ! – commanderait d’élaborer au plus vite et dans la démocratie la plus large un plan mondial d’urgence pour sauver le climat et la biodiversité dans la justice sociale et la justice climatique, donc en réduisant radicalement les scandaleuses inégalités sociales créées par le néolibéralisme. Ce plan devrait socialiser les secteurs de l’énergie et de la finance (sans indemnités ni rachat) car c’est le seul moyen de déverrouiller l’avenir climatique. Il devrait supprimer toutes les productions inutiles et nuisibles (les armes, par exemple !) et tous les transports inutiles, car c’est le moyen le plus simple de réduire drastiquement et très vite les émissions. Une marge de manœuvre serait ainsi dégagée pour investir dans l’efficience énergétique (notamment par la rénovation/isolation des bâtiments) et pour construire un nouveau système énergétique basé à 100 % sur les sources renouvelables.
Changer de paradigme : soin vs. production, besoins réels vs. profit (...)

Le plan implique un changement complet de paradigme. Le profit doit s’effacer devant les besoins réels, le productivisme doit céder la place au soin apporté aux humains et aux non-humains. Il s’agit de réparer les dégâts du capitalisme, du colonialisme et du patriarcat. (...)

Il n’y a pas d’issue à la crise systémique en dehors d’une alternative anticapitaliste. Pour arrêter la catastrophe et empêcher le cataclysme, il faut impérativement produire moins (produire pour les besoins réels), transporter moins (la plus grande partie des transports vise seulement à maximiser le profit des multinationales) et partager plus (en priorité, partager les richesses et répartir le travail nécessaire). Cette perspective écosocialiste est nécessaire aussi pour sortir de la crise civilisationnelle engendrée par le capital, car il n’y a pas de liberté possible dans la poursuite illusoire d’une consommation sans limites, construite sur une exploitation sans limites de la Terre et des humains. Le consumérisme n’est qu’une compensation misérable pour une existence misérable.
Rien à attendre des COP

Il va de soi que cette alternative ne peut découler des COP. Dans le cadre de ces sommets, en effet, les gouvernements tentent – au mieux ! – de résoudre la quadrature du cercle : éviter le cataclysme tout en garantissant la poursuite de l’accumulation du capital et le maintien du régime néolibéral (...)

C’est pourquoi, en dépit des protocoles, des taxes carbone, des quotas d’émission échangeables, du « développement propre », de la « finance climatique », des COP annuelles et de tout ce tralala, l’accumulation capitaliste, comme un automate, continue imperturbablement d’entraîner l’humanité vers la « planète étuve ».

Plus d’un quart de siècle après Rio, de COP en COP, le cataclysme se rapproche. La COP25 n’inversera pas la tendance. (...)

l’écart de rendement entre la survie des 99 % et les profits du 1 % « persistera probablement » car il n’y a pas de pouvoir mondial capable d’imposer un prix du carbone mettant tous les capitalistes à égalité dans la course au profit. Donc on ne fait rien. On ne peut imaginer plus belle illustration du fait que le capitalisme n’a plus rien d’autre à offrir que la destruction et la mort.

L’incapacité des gouvernements face à la crise écologique, climatique en particulier, n’est pas le résultat d’une fatalité mystérieuse, ou de la perversité de la nature humaine, mais le résultat de cinq facteurs structurels : le productivisme congénital du capitalisme empêche de produire moins ; le régime néolibéral d’accumulation empêche de concevoir un plan public ; la contradiction entre l’internationalisation du capital et le caractère national des États empêche d’appréhender le défi globalement ; la crise de leadership impérialiste empêche d’assurer ne fut-ce qu’un minimum d’ordre dans le désordre capitaliste (ce facteur est de surcroît aggravé par le climato-négationnisme de Donald Trump) ; enfin, la crise de la démocratie bourgeoise basée sur la démagogie électoraliste empêche de regarder au-delà d’un délai de trois ans. Tout cela est le produit du système capitaliste en phase terminale qui, comme disait Marx, « épuise les deux seules sources de toute richesse : la Terre et la travailleuse/le travailleur ».

Penser qu’une société basée sur l’exploitation du travail, le racisme, le patriarcat, l’homophobie, l’arrogance coloniale, la violence, l’abus de pouvoir et le creusement des inégalités pourrait entretenir des relations respectueuses, soigneuses, collaboratives, pacifiques et prudentes avec (le reste de) la nature est absurde. (...)

On ne changera pas de fond en comble les relations entre humanité et nature sans changer de fond en comble les relations entre humains. Prendre soin de nous-mêmes d’une façon digne de notre humanité est la condition sine qua non pour prendre soin de ce à quoi nous appartenons. (...)

« Fin du monde, fin du mois : même ennemi, même combat » : lancé dans les rassemblements qui ont vu la convergence des Gilets jaunes et des manifestant·e·s pour le climat, en France, ce slogan exprime le fond de la question : les luttes contre les destructions sociales et les luttes contre les destructions écologiques sont les deux dimensions d’un même combat écosocialiste. L’issue ne réside pas dans les pressions sur les COP. Elle réside dans la convergence des luttes des exploité·e·s et des opprimé·e·s pour un autre monde nécessaire, possible et désirable.