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« Derrière nos écrans de fumée » : repenser le modèle économique des GAFAM
Par Rasha Abdul Rahim, co-directrice d’Amnesty Tech
Article mis en ligne le 26 septembre 2020

Le documentaire "Derrière nos écrans de fumée" décrypte la façon dont nos vies sont constamment surveillées et contrôlées par les géants de la technologie. Le modèle économique fondé sur la surveillance mis en place par Facebook et Google est par nature incompatible avec le droit à la vie privée et représente une menace structurelle pour toute une série d’autres droits fondamentaux.

S’il y a bien une chose que l’année 2020 a mise en avant, c’est notre dépendance à Internet pour établir nos relations et interactions sociales. Pour nombre d’entre nous, les plateformes et services en ligne comme Facebook et Google ont représenté une véritable planche de salut pendant la pandémie : ils nous ont permis de rester en contact avec notre famille et nos amis, de continuer à travailler ou à étudier en ligne et de recevoir les dernières informations en matière de santé. Cependant, ce confort nuit à nos droits humains, y compris à notre droit à la santé mentale ; c’est ce que montre Derrière nos écrans de fumée, un nouveau documentaire coup-de-poing arrivé sur Netflix le 9 septembre 2020.

Derrière nos écrans de fumée s’emploie en effet à nous ouvrir les yeux sur la façon dont nos vies sont constamment surveillées – et contrôlées – par ces sites. C’est le Truman Show puissance 1 000, qui surveille un tiers de la planète.

En avril 2020, Eric Schmidt, ancien directeur général de Google, expliquait que « les avantages que représentent ces entreprises (que nous adorons dénigrer) en termes de capacité à communiquer [...], de capacité à s’informer, sont immenses », et il a indiqué que la population devrait s’estimer heureuse que « ces entreprises aient engrangé les revenus, fait les investissements et construit les outils que nous utilisons aujourd’hui et qui nous aident réellement ». Pourtant, dans le documentaire, des personnes qui ont vu la Silicon Valley de l’intérieur décrivent une situation très différente. Elles estiment que si les pires aspects de l’humanité ressortent continuellement sur ces sites, cela vient directement de la conception des plateformes.

Elles sont faites pour optimiser trois paramètres : 1) Pendant combien de temps peuvent-elles réussir à garder deux rétines collées à un écran ?, 2) Combien de nouveaux utilisateurs peuvent-elles gagner ? et 3) Combien de revenus peuvent-elles engranger en plaçant des publicités devant lesdites rétines collées aux écrans ?

Tout cela sert leur modèle commercial, qui se résume à la collecte et la monétisation de nos données personnelles. (...)

Le documentaire révèle comment des équipes formées principalement d’hommes blancs dans la Silicon Valley reçoivent l’instruction explicite d’exploiter les vulnérabilités de l’esprit humain (...)

En d’autres termes, l’ensemble de l’écosystème de l’information qui dessert actuellement un tiers de la planète n’a pas été créé pour nous faciliter la vie, mais pour nous manipuler et nous utiliser. Les services de Facebook et de Google semblent « gratuits » au premier abord mais, comme le dit l’ex-ingénieur de Google Tristan Harris dans le documentaire, « si vous ne payez pas pour le produit, c’est que vous êtes le produit ». (...)

Malgré ce que l’on voudrait nous faire penser, Internet n’a pas besoin de s’appuyer sur la surveillance. Les personnes qui se sont inscrites sur des sites à une époque où ils respectaient bien plus la vie privée de leurs utilisateurs, ou avant qu’ils ne soient rachetés par Facebook ou Google, doivent maintenant choisir entre quitter un service duquel elles dépendent ou se soumettre à une surveillance constante. Ce choix n’est pas et ne devrait pas être légitime.

Nous avons besoin que les gouvernements agissent immédiatement et mettent en place une réglementation qui vise à repenser ce modèle économique et à protéger nos droits. Il s’agit d’un problème systémique et structurel qui ne sera pas facile à résoudre et nécessitera d’associer des solutions politiques, juridiques et structurelles. (...)

Aucune approche ne se suffira à elle-même, et nous ne pouvons pas non plus résoudre ce dilemme social sans aide. Nous avons besoin que nos responsables gouvernementaux prennent des initiatives et adoptent des mesures urgentes pour nous protéger des atteintes aux droits perpétrées par les géants technologiques.