
Très critiques à l’égard du « grand débat national » lancé par le gouvernement, des Gilets jaunes de plusieurs régions de France lancent ensemble le « vrai débat ». Sans questions fermées, avec des thèmes plus larges, et le souci que les résultats soient appropriés par les citoyens. Entretien avec les initiateurs de cet autre débat.
Reporterre — Quel sens donnez-vous au « grand débat national » lancé par le président Emmanuel Macron ?
David Prost — Le gouvernement s’est servi d’une plateforme d’intelligence collective, dont le but principal est d’ouvrir la discussion entre des citoyens, en la cloisonnant à quatre grands thèmes qu’il a choisi [ transition écologique, fiscalité, organisation de l’État et débat démocratique]. Sur la forme, l’utilisation des questions à choix multiples (QCM) oriente totalement le débat. Au départ, il nous a pourtant vendu le Grand débat national comme une occasion - enfin ! - de pouvoir nous exprimer. On s’aperçoit que non, on ne peut même pas choisir de quoi on parle. C’est un enfumage total. D’autant plus qu’on ne sait pas vraiment à quoi il va servir, ce n’est pas clair.
Lydie Coulon — La Commission nationale du débat public (CNDP) a transmis au gouvernement une proposition de méthodologie pour la conduite du Grand débat. La CNDP est indépendante, constituée de professionnels en la matière et le gouvernement n’a même pas souhaité qu’elle pilote le débat ! C’était pourtant l’occasion d’avoir un vrai processus démocratique.
Pourquoi avoir lancé, de votre côté, le « vrai débat » ?
Grégory Signoret — Notre explication à la survenue de cette crise, c’est le cloisonnement social, l’individualisme, l’absence d’échanges. Les gens vivent à 200 à l’heure, ils doivent remplir les frigos, les comptes en banque, payer les dettes, rembourser les prêts. Avec tout ça, nous n’avons plus le temps de décider comment gérer nos vies. En un vote, on confie tout ça à quelqu’un, notre représentant, qui gère à notre place. On s’est dessaisi de nos pouvoirs démocratiques, de notre capacité à décider. Avec le Vrai débat, on propose un endroit, un moyen, une méthode, un processus ouvert qui permet aux gens de s’arrêter cinq minutes pour exprimer leurs idées et réfléchir aux façons de créer un vivre ensemble bénéfique à tous. C’est une vraie solution de sortie de crise.
Comment le « vrai débat » a-t-il vu le jour ?
Lydie Coulon — On est tous les trois Gilets jaunes depuis les premiers jours du mouvement. De nos ronds-points, on a rapidement senti cette forte aspiration à la démocratie horizontale. On a organisé une conférence avec Armel Le Coz, du collectif Démocratie ouverte, pour explorer les outils d’intelligence collective destinés à collecter et construire des revendications. Au mois de décembre 2018, avec les Gilets jaunes de l’île de la Réunion, de la région Midi-Pyrénées, de Bretagne et d’Aquitaine, on a sollicité Cap Collectif, le fournisseur de la plateforme de consultation du gouvernement Grand Débat National. Cap Collectif et son créateur, Cyril Lage, ont décidé de mettre à disposition gratuitement, et à tous les Gilets jaunes qui voudraient s’en saisir, de quoi monter leurs propres plateformes régionales d’intelligence collective. Le système a bien fonctionné et on a constaté une forte demande à l’échelle nationale. C’est comme ça qu’a germé l’idée de lancer Le Vrai débat.
Quelles seront ses grandes étapes ?
David Prost — Le « vrai débat » repose sur quatre phases (...)
Le « vrai débat » utilise le même outil technique que le gouvernement... (...) Sauf que le gouvernement l’utilise pour faire du traitement de texte, tandis que nous, on l’utilise pour faire des tableaux croisés dynamiques. On a un outil, et en plus on l’utilise pour ce qu’il est. Le gouvernement, lui, le détourne, il l’utilise juste pour faire des questionnaires. Il aurait pu utiliser Google Form, c’était pareil !
Qu’avez-vous pensé de l’Appel de Commercy, adopté le 27 janvier à Sorcy-Saint-Martin par près de 75 délégations des Gilets jaunes de toute la France ?
Grégory Signoret — Des échos que nous en avons eu, c’était un succès. Au départ, les Gilets jaunes exprimaient une colère chaotique qui se voulait apolitique, a-syndicale, et ce manque de structuration était identitaire du mouvement. Il a fait sa force. Mais au bout d’un moment, après l’opposition, il faut faire des propositions. L’Appel de Commercy et le Vrai débat vont en ce sens. Au bout de dix semaines les gens ont soif de structuration.