
La justice familiale touche des justiciables de tous les milieux sociaux, des hommes autant que des femmes. Étudier le traitement judiciaire des séparations conjugales permet ainsi d’examiner comment l’institution fait face à la diversité des situations sociales qui lui sont soumises.
L’enquête sociologique menée par le Collectif Onze combine l’observation de 330 audiences dans les services des affaires familiales de quatre tribunaux de grande instance en France avec le dépouillement de plusieurs centaines de dossiers judiciaires. Elle met au jour les inégalités produites par cette justice de masse, qui consacre davantage de temps et de moyens aux couples nantis qu’à ceux des classes populaires, tout en contribuant au maintien des inégalités entre hommes et femmes.
« Deux poids, deux mesures »
Une justice sous pression
Un juge aux affaires familiales (JAF) traite seul plus de 800 affaires par an, qu’il s’agisse de divorces ou de contentieux sur les modalités de prise en charge d’enfants de parents non mariés. Evalués selon des indicateurs purement quantitatifs, les juges sont tenus de « rationaliser » leur activité tout en préservant une certaine exigence et un intérêt à leur pratique professionnelle. Ils opèrent ainsi un tri entre les affaires, pour gagner du temps sur des dossiers considérés comme « simples » (les affaires de « petites pensions ») et s’appesantir sur des dossiers jugés plus « complexes » (litiges relatifs à la résidence des enfants et au droit de visite et d’hébergement ou affaires de « gros sous »). Cette sélection a des effets qui ne sont pas neutres socialement et qui aboutissent à un traitement inégal des différents publics des affaires familiales.
Des pauvres entendus moins longtemps (...)
Après la séparation, ces inégalités se maintiennent, voire s’aggravent : différentes études montrent [4] que le niveau de vie des femmes baisse nettement après la séparation, tandis que celui des hommes se maintient ; et les femmes continuent à assumer massivement la garde des enfants (environ 80 % des enfants de parents séparés vivent exclusivement avec leur mère, et c’est encore plus massivement le cas lorsqu’ils sont en âge préscolaire). Quelle est la part de l’activité judiciaire dans cet état de fait ? (...)
L’absence chronique de cadre de discussion de la dette des hommes envers leurs ex-conjointes en matière de production domestique, au sein de l’institution judiciaire, contribue à maintenir l’invisibilité et la gratuité du travail domestique féminin au-delà des séparations conjugales. (...)